Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/775

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nomination qui ne lui convient guère, ce sera une secte protestante de plus. Il sera fâcheux pour le catholicisme d’avoir perdu des fidèles aussi considérables ; mais ces hommes, séparés de lui, ne lui feront pas une bien redoutable concurrence. L’adhésion au catholicisme vient de raisons sur lesquelles les argumens de M. Dœllinger et de M. de Schulte ont peu de prise.

Le second point sur lequel M. de Bismarck semble s’être fait illusion, c’est l’attitude que garderait le clergé catholique dans la nouvelle situation qui lui était faite. On voit bien ce qui l’aura induit en erreur. Il aura compté sur l’élan de patriotisme germanique redoublé par la victoire, sur l’antipathie du véritable Germain pour le romanisme, plus encore sur la docilité de l’Allemand envers l’état, sur le peu de popularité que rencontre en Allemagne la résistance à l’autorité. À cet égard, la différence est totale avec la France. L’Allemand n’a pas la rhétorique sonore, le journalisme retentissant ; un Lacordaire, un Montalembert, n’ont pas de place dans un tel pays. Chez nous, toute l’opinion libérale, sans distinction de doctrine, est avec celui qui résiste ; en Allemagne, l’opposition, la résistance à la loi, sont une cause de défaveur, la persécution ne donne pas grand prestige, car l’Allemand est pour ce qui est fort : il n’a pas cette générosité, souvent superficielle, il faut le dire, qui nous porte à croire que le faible a toujours raison. Il y avait donc des motifs de compter sur un succès ; mais M. de Bismarck n’avait pas assez étudié, ou plutôt sa nature ne lui permettait pas de bien comprendre ce que c’est qu’un catholique, ce qu’il y a d’hiératique, d’absolu, de surnaturel en sa foi. La confiance exagérée de son entourage dans la toute-puissance des mesures administratives et des lois pénales l’a égaré. Il ne s’était pas suffisamment rendu compte de l’héroïsme de situation que la nécessité allait donner à des hommes faibles d’ailleurs par bien des côtés. Il y a dix-sept cents ans que cela dure. Dès le IIe siècle, Lucien, dans ce spirituel pamphlet de la Mort de Pérégrinus, a fait l’analyse de ce qu’on gagne d’adorations et de petits soins à être confesseur et martyr ; le personnage qu’il met en scène embrasse cette profession comme lucrative et pleine de charme.

Ce qu’il y a de pis dans cette fâcheuse situation, c’est qu’elle est sans issue. Les évêques ne peuvent pas céder, ils ne céderont pas. Les victorieux d’un autre côté ne cèdent guère. La franche adoption du système américain de la séparation de l’église et de l’état sauverait tout, mais une telle solution serait bien peu prussienne. Il y a là des éventualités grosses de péril. La mort de Pie IX changera considérablement l’état du problème, sans pourtant le supprimer. Beaucoup d’indices portent à croire que, dans l’élection qui suivra