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ne pouvait ni se marier, ni donner à ses enfans un état civil régulier ; l’excommunication prononcée par l’évêque avait les conséquences les plus graves : elle mettait bien réellement l’excommunié hors la loi. L’esprit étroit des piétistes prussiens, maîtres des plus hautes influences à la cour, avait toujours empêché que cette législation arriérée, plus digne de la Turquie que d’un état européen, fût réformée. Il est clair qu’en présence d’un fait comme l’apparition des vieux-catholiques il fallait la modifier. La marche à suivre était simple ; elle se résumait en trois points : 1o séculariser tous les actes de la vie civile, établir un régime tel que les changemens religieux d’un citoyen ne changeassent rien à son état, et que l’excommunication n’eût à son égard que des effets religieux dont il resterait seul juge ; 2o l’école en Prusse étant obligatoire, séculariser l’école, l’enlever à la surveillance des clergés respectifs ; 3o accorder à l’église nouvelle l’entière liberté de son culte, et, puisque les fidèles de l’église nouvelle provenaient tous de l’église catholique, défalquer sur les biens et dotations de celle-ci une somme proportionnelle au nombre des dissidens et la leur transférer. L’état ignore complétement qui est vrai catholique ; deux partis se présentent devant lui, réclamant les bénéfices de cette appellation. Que peut-il faire ? Compter les adhérens des deux partis, et partager entre eux au prorata du nombre le patrimoine jusque-là indivis.

Cette règle, qui dans la pratique pouvait subir toute sorte d’adoucissemens et de moyens termes, ne fut nullement celle qu’adopta le gouvernement prussien. La victoire trouble les meilleurs esprits. L’Allemagne, qui passe sa vie à critiquer l’histoire de France, et qui en a fait l’objet de tant d’observations justes, semble prendre à tâche de copier les fautes de Louis XIV et de Napoléon Ier. La plus grande faute de ces deux souverains[1] a été d’exagérer l’idée de l’état, et par suite de se laisser entraîner à la persécution religieuse. M. de Bismarck et les patriotes allemands raisonnent absolument comme eux. « Le protestantisme, disait Louis XIV, nuit à l’unité de mon état ; les protestans ne sont pas aussi complétement Français que mes autres sujets ; ils ont des relations avec ceux qui pensent comme eux à l’étranger ; leurs principes religieux mènent à l’opposition contre mon gouvernement ; il faut les supprimer. » Qu’on mette le mot de « catholiques » à la place de « protestans, » on aura exactement le raisonnement du gouvernement prussien dans sa politique envers les ultramontains. Il faut dire, pour justifier quelques hommes éclairés, qu’on est surpris de voir associés à une politique si étroite, que la solution libérale eût été bien plus de leur goût,

  1. Ce n’est pas depuis 1870 que nous tenons ce langage ; nous n’avons cessé ici, dans la Revue, depuis 1851, d’insister sur cette idée.