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incurable, si la doctrine alors incontestée de la supériorité du concile sur le pape n’eût offert un moyen pour en sortir. Relevée par le génie italien du XVe siècle, la papauté reprit sa tradition. De Martin V à Pie IX, pas un jour ne fut perdu pour l’érection de cet édifice immense dont l’année 1870 a vu le couronnement. Une armée de théologiens recherche les textes, fausse toute critique, fait violence à l’histoire pour montrer dans l’évêque de Rome l’héritier d’un privilége auquel assurément aucun des fondateurs du christianisme ne songea. Les plus zélés de ces apologistes, comme Bellarmin, se voyaient condamnés pour n’en avoir pas encore dit assez. De puissantes églises nationales opposaient au développement des hyperboles ultramontaines une invincible résistance ; mais quand la révolution eut renversé la plus forte de ces églises, l’église gallicane, quand la philosophie et le libéralisme eurent affaibli les autres, la cour de Rome triompha sans contre-poids. Napoléon, par son concordat, apprit au pape qu’il avait des droits dont il ne s’était jamais douté, en particulier celui de supprimer d’un trait de plume toute une église et de la reconstruire sur d’autres bases. M. de Lamennais, le grand précurseur de l’ultramontanisme, toute l’école néo-catholique, tout le journalisme catholique, les libéraux eux-mêmes de cette école, ou du moins ceux qui se croyaient tels, n’eurent qu’une voix pour exalter Rome et y montrer le centre de la vérité. Que pouvait un clergé fonctionnaire, sans propriétés, sans patrie, mécontent du pays et de son gouvernement, contre ce fatal entraînement ? Rome devait lui apparaître comme sa vraie patrie, comme l’unique cité de son cœur. On ne comprend rien à l’histoire religieuse de notre temps, si on ne voit pas que l’église gallicane, un moment relevée contre toute logique par l’empire, avec plus de conséquence par la restauration, était depuis la révolution condamnée à mourir, et que le catholicisme allait fatalement se réduire à ne plus être qu’une grande secte centralisée entre les mains d’un chef devenu une sorte d’incarnation divine. L’organe de la nouvelle église devait être un journalisme ardent, ne relevant que de Rome, et rejetant dans l’ombre l’autorité vieillie de l’épiscopat.

Ces tendances latentes depuis la fin de la restauration trouvèrent dans Pie IX, dans son entourage, dans les théologiens qui avaient sa confiance, dans la société de Jésus, devenue la confidente et l’inspiratrice de toutes ses pensées, d’ardens et audacieux promoteurs. Jamais campagne ne fut plus savamment concertée. Exalter systématiquement l’église aux dépens de l’état, soutenir même que l’état tient ses pouvoirs de l’église, présenter les concordats conclus avec les états comme n’obligeant l’église que dans la mesure de son intérêt, — éteindre les diversités autrefois si salutaires qui laissaient