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lui de juger si ta présence doit la perdre ou la sauver. Sache attendre. Je suis résignée, quant à moi, à accepter les conséquences de ton entraînement, me fussent-elles pénibles, plutôt que de me trouver en désaccord avec ta conscience.

J’admirai la droiture et le courage de ma mère, car il m’était facile de voir combien elle désapprouvait mon choix. J’avais manifesté le désir d’aller voir M. Brudnel à l’insu de Manoela. Elle ne s’y opposa point.

Je ne le fis pourtant pas ; je remis même de jour en jour à écrire à sir Richard ; puis j’arrivai à me dire qu’il m’avertirait, s’il jugeait devoir conférer avec moi. J’éprouvais une extrême répugnance à lui faire des avances quelconques. Mes nerfs étaient pourtant calmés, ma bonne et douce vie de famille me rendait à moi-même ; le fantôme de Manoela s’effaçait comme un rêve. Il me semblait que, si elle consentait sans révolte à mon éloignement, c’est qu’après tout elle préférait les doux soins de M. Brudnel à mes violences. Enfin chaque heure écoulée loin d’elle me semblait détendre le lien, et je ne pensais pas sans effroi au moment éventuel où, rappelé près d’elle, je serais forcé d’accepter la recrudescence d’affection et de reconnaissance que sir Richard avait dû lui inspirer. J’aimais infiniment mieux prévoir que ces tendres soins prodigués par lui seul la guériraient vite, et qu’elle se laisserait persuader de me rendre ma parole. Mon orgueil ne se révoltait plus à l’idée d’être supplanté par un homme plus habile que moi. Je reconnaissais m’être conduit comme un enfant ; je méritais la leçon que j’avais provoquée.

C’est dans ce sens que j’écrivis à mon ami Vianne, en lui reprochant de ne m’avoir pas donné de nouvelles depuis son premier billet. Je reçus de lui cette réponse :

« Puisque te voilà revenu du pays des chimères, puisque tu donnes cent fois raison, et même plus tôt que je ne l’espérais, à tout ce que je t’avais dit de la fragilité de ton amour pour l’odalisque, je puis te parler d’elle en toute tranquillité. Je la vois tous les jours et je t’assure qu’elle guérira. Tu sais que je ne partageais pas du tout l’opinion de nos grands docteurs de Marseille sur la gravité de son mal. Les affections nerveuses ont le fâcheux privilége de simuler si exactement d’autres affections organiques que les plus habiles praticiens y sont encore trompés. Le cas pathologique de Melle Perez est pour moi assez intéressant, et, comme je suis le seul qui ait bien auguré de sa guérison possible, M. Brudnel m’a prié de lui donner des soins. J’ai osé faire le contraire des prescriptions tracées, j’ai permis le mouvement et même dans une juste mesure les émotions, si sévèrement proscrites. On a été au théâtre, et on ne s’en est pas mal trouvé. Enfin on guérira probablement, je di-