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décrire ici ; on pourra consulter à ce sujet l’ouvrage, accompagné de plus de deux cents planches de photographies, que publie en ce moment M. Schliemann. C’est tout un monde qui se révèle à nous, qui un jour prendra sa place dans l’histoire, et rattachera entre eux plusieurs groupes de la race âryenne dont on n’aperçoit pas encore nettement les anciens rapports.

Les grandes cruches à porter l’eau, les vases longs pour mettre le vin, les petites et les grosses bouilloires, les tasses, les godets, les marmites à trois pieds, les soupières, les terrines, les assiettes, les gourdes, les gobelets, les biberons à bec sortant de la panse du vase, forment autant de séries dont chacune est représentée souvent par plusieurs centaines d’échantillons. Ces noms réveilleront dans l’esprit du lecteur des idées assez nettes pour lui faire saisir en imagination la forme des objets ; elle se précisera davantage, si nous disons que, sauf l’usage du tour, rare à Hissarlik et universel aujourd’hui, ces mêmes vases, avec des formes analogues, se retrouvent presque tous dans les villages de la Normandie et de la Bretagne ; il y a dans ces provinces des industries locales et stationnaires dont les produits contrastent étonnamment avec ceux des grandes fabriques de faïence et de porcelaine importés par les marchands forains. Mais je dois appeler l’attention sur deux ou trois formes de vases qui jusqu’à présent n’ont pas été trouvées ailleurs qu’à Hissarlik. C’est d’abord le vase à boire, si souvent désigné dans Homère par les mots dépas amphikypellon. On n’a trouvé, ni en Troade, ni ailleurs, aucun vase formant une double coupe, tandis que les textes font voir que ce gobelet servait à faire les honneurs du festin ; le maître, le tenant par une anse, buvait le premier et le présentait à son hôte, qui le prenait par l’anse opposée et le vidait d’un trait. Ces gobelets ont la forme d’un tuyau évasé par le haut comme le pavillon d’un cor de chasse et se terminant en bas par un fond arrondi ; on ne pouvait pas le poser sur ce fond, il fallait le vider d’abord, puis le renverser. Deux grandes anses où la main tout entière pouvait passer servaient à l’offrir et à le recevoir. Dans le trésor, il s’est trouvé un de ces vases à boire d’une forme un peu différente : il ressemble à nos saucières, si ce n’est qu’il n’a point de soucoupe et qu’il se pose sur un très petit fond ; les anses sont latérales, les deux becs sont l’un étroit pour goûter, l’autre large pour boire. Ce vase est tout en or massif et d’une parfaite conservation ; c’était le dépas royal au temps où les héros mangeaient par personne le dos succulent d’un taureau et arrosaient largement leurs estomacs. Il est à remarquer que la couche profonde antérieure à la ville incendiée n’a fourni aucun de ces vases à boire ; les gobelets qu’on y trouve ont une forme conique avec un large pied de