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attaques. Où est-il parmi les hommes sérieux de ce pays celui qui nous conseillerait de recommencer une expédition de Rome, à supposer qu’elle fût possible ? Si personne ne le peut ni ne le veut, à quoi bon ces réserves étudiées, ces demi-menaces bientôt suivies d’une demi-rétractation, ces mystères qui ne cachent rien, ces paroles à double entente qui ne trompent pas même ceux qui feignent de les prendre au sérieux, mais qui irritent nos adversaires et découragent nos amis ?

Osons envisager la réalité et avoir pour politique autre chose que des réticences ou des fantaisies. Ne permettons pas à l’esprit de bigoterie de s’immiscer dans la gestion des grands intérêts du pays, et ne cherchons pas à être plus religieux que le cardinal de Richelieu. Quel était sous l’ancien régime l’allié le plus constant de la France très chrétienne ? C’était le Grand-Turc, un souverain mécréant. Plût à Dieu que ce mécréant sauveur se fût montré à nous dans nos jours de détresse ! L’ultramontanisme, quels que soient les mérites qu’on lui attribue, n’a point fait, on le reconnaîtra, la grandeur intellectuelle et morale de la France ; ce n’est pas lui non plus qui nous la rendra. Elle a été l’œuvre d’hommes pour lesquels il n’a eu le plus souvent que des anathèmes. Qu’il se contente donc de régenter le royaume du ciel. Nous ne lui avons que trop laissé accréditer l’idée que nous pouvons nous relever, non par le travail, le sérieux, la volonté, mais avec des pèlerinages, des indulgences, des amulettes, et les mille raffinemens d’un mysticisme enfantin. Nous n’avons que trop perdu de vue qu’il s’agit non pas de former des dévots, mais de faire des hommes. Eh ! bonnes gens, songez un peu moins au salut de votre âme et un peu plus au salut du pays ; c’est là un genre de dévotion qui en vaut bien un autre, et soyez sûrs qu’il vous sera compté. Surtout n’oubliez jamais que, s’il nous faut absolument un ennemi, nous ne devons en avoir qu’un seul, et ce n’est pas l’Italie.


P. Lanfrey.