Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraissent nécessaires à qui veut parvenir au but. Le scepticisme, voilà le dernier mot de son caractère et de sa doctrine. Nous avons recherché avec soin parmi les témoignages de sa jeunesse s’il avait lutté avant d’entrer dans cette voie ; nous lui avons tenu compte de certains scrupules dans son Histoire florentine et de certaines émotions généreuses ; mais, à partir de son ambassade en Espagne, nous l’avons vu s’éprendre des traits de mensonge et de perfidie qu’il voyait ou croyait voir dans le caractère d’un habile politique ; la fin de sa vie nous l’a montré reniant les causes qu’il avait servies, et sacrifiant à ses intérêts personnels des intérêts d’autre sorte et de nature plus élevée non méconnus naguère par lui-même.

Toutefois l’histoire de sa vie nous a également enseigné qu’il n’a pas été le sceptique inintelligent et incapable d’un rôle généreux. Il y a, en dehors des extrêmes, bien des genres de scepticisme. Il y a celui qui naît d’une trop grande défiance de la raison humaine, et qui s’abîme quelquefois dans le sentiment religieux ; il y a celui qui provient d’une trop grande confiance dans l’intelligence des hommes, et qui s’attarde à l’admirer dans les médiocres et incertains triomphes de la vie réelle, Le scepticisme est subtil, et peut se glisser dans le cœur de celui-là même qui s’est proposé un but honorable ; il se trahit alors par un mélange de calcul qui aura présidé même au choix de ce but honnête, et dans une facilité trop indifférente à l’emploi des moyens. Guichardin était trop éclairé pour ne pas échapper aux excès par certains côtés. Il est passablement douteur, par exemple, sur les choses de la religion, non pas toutefois au-delà de certaines limites qu’il n’est peut-être pas facile de bien marquer. Voyons-le d’abord, en quelques-uns de ses ricordi, fort répugnant à des pratiques, à des croyances, à des abus de son temps, et tout près de la révolte :

« Je crois que les hommes, à toutes les époques, ont tenu pour miraculeux des faits qui n’avaient rien de tel ; mais ce qui est certain, c’est que toutes les religions ont eu leurs miracles, de sorte que le miracle est une faible preuve de la vérité de telle croyance plutôt que de telle autre. Les miracles révèlent peut-être la puissance de Dieu, mais pas plus du Dieu des gentils que de celui des chrétiens. Il ne serait donc peut-être pas mal de dire que ce sont, comme les prédictions, des secrets de la nature au-dessus de l’intelligence humaine.

« J’ai remarqué que, chez tous les peuples et dans toutes les villes, il y a des dévotions qui produisent de semblables effets. À Florence, Santa-Maria Imprunata fait la pluie et le beau temps ; en d’autres endroits, j’ai vu la vierge Marie ou les saints opérer de même, signe manifeste que la grâce de Dieu vient au secours de tout le monde, et peut-être aussi que ce sont des choses qui existent plutôt dans l’esprit des hommes que dans la réalité.