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d’insulter et, s’il pouvait, de déshonorer ceux-là surtout qui avaient mérité l’estime publique en luttant pour la cause de l’indépendance. Entouré de délateurs et d’assassins, ennemi sottement déclaré des arts et des lettres, il fut la vivante insulte contre tout ce que Florence avait aimé et respecté. On sait quel drame, dont un de nos poètes s’est emparé, mit le terme à cette infamie. Un jour que Benvenuto Cellini montrait un projet de médaille devant offrir à la face l’effigie du duc Alexandre, mais pour le revers de laquelle il se disait encore incertain, Lorenzino, parent et favori du prince, lui dit : « Prends patience, d’ici peu je t’aurai préparé un beau sujet de gravure. » Nul ne faisait grande attention aux paroles ni aux actes de Lorenzino, qui passait pour n’avoir pas toute sa raison, et qui récemment, à Rome, s’était plu à briser les têtes des statues qui décoraient l’arc de triomphe de Constantin. Ce fut lui cependant, hanté du souvenir de l’ancien Brutus, qui attira chez lui le tyran, sous prétexte de lui livrer une des plus vertueuses dames de Florence, et le fit égorger par un assassin à ses gages (6 janvier 1537). Au milieu du trouble causé par cette mort imprévue, les Piagnoni et le parti populaire songèrent bien à rétablir le gouvernement républicain ; déjà les moines de Saint-Marc parcouraient les rues en disant que les prophéties de Savonarole se réalisaient et qu’on allait recouvrer la liberté ; mais on n’avait pas d’armes, et Guichardin, à la tête des principaux Palleschi, se hâta de faire proclamer un autre Médicis, le jeune Côme, fils de ce Jean des bandes noires resté populaire pour sa fidélité envers Florence pendant la guerre précédente. Côme avait dix-sept ans : les habiles qui travaillaient à son élévation croyaient lui imposer des conditions et régner sous son nom ; quelques-uns convoitaient des avantages tout personnels. Guichardin en particulier, prenant les devans, lui avait fiancé l’une de ses filles. Son espoir égoïste fut déçu ; sa fille fut renvoyée, et lui-même passa tristement ses dernières années, jusqu’à sa mort, en 1540, non pas dans la retraite, mais dans la disgrâce, punition méritée de son volontaire abaissement.

Il serait bien injuste d’en rester sur l’impression de cette triste fin d’une carrière qui n’a pas été celle d’un vulgaire ambitieux. Pour reprendre les élémens d’une appréciation plus générale et par là plus équitable, nous n’avons qu’à ouvrir dans les nouveaux volumes une des œuvres les plus intéressantes de Guichardin, celle de laquelle nous avons déjà emprunté quelques citations, son recueil de Ricordi ou de pensées et de maximes ; il est là tout entier.


III.

Ces quatre cents maximes ou souvenirs que nous offre le premier volume des œuvres inédites étaient naguère à peu près inconnues,