Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des citoyens, d’autre part il n’a pas à disposer d’assez de grâces pour se faire un grand nombre de créatures ; « le pâturage n’est pas assez gras pour nourrir un abondant bétail. » Il faut donc se faire craindre. Il faut conserver la forme républicaine, comme l’ont fait généralement ceux qui se sont emparés du pouvoir suprême en des états libres, un Sylla, un César, un Auguste, et puis, à leur exemple, Laurent de Médicis, Pétrucci, Bentivoglio, dans Bologne et dans Sienne. Avec cette apparence républicaine, les Médicis devront avoir en main le pouvoir absolu. On doit désarmer tout le monde, même les amis. On doit bannir les citoyens trop engagés pour revenir jamais vers d’autres opinions, et puis les jeunes gens trop ardens qui ont marqué dans les luttes précédentes comme chefs de la milice. Si l’on ne fait pas de tout point comme Laurent de Médicis, qui, après la conjuration des Pazzi, après avoir tué tous les jeunes gens de cette famille ennemie, en a enfermé les jeunes filles, afin qu’elles ne donnassent pas d’héritiers redoutables, il y a lieu du moins de surveiller soigneusement les mariages dans Florence, et de ne pas permettre que les jeunes citoyens cherchent femme dans les rangs ennemis. D’ailleurs, ajoute Guichardin, le champ n’est pas trop vaste pour marier nos filles (il en avait cinq). — Le prince aura près de lui un conseil de vingt à vingt-cinq membres, mais surtout un conseil occulte de quatre ou cinq personnes, les premières en fidélité et prudence, et qui décideront des plus graves affaires. Qu’on puisse compter dans tout l’état sur deux cents citoyens des mieux qualifiés, ce sera un bon fondement. Bien traités du prince et d’autant plus odieux au peuple, ils seront obligés de demeurer fermes avec nous.

Est-ce bien de Florence qu’il s’agit ? La Florence des premières années du XVIe siècle, la Florence de Michel-Ange, d’André del Sarte, de Cellini, cette ville hier encore tout esprit et tout intelligence, en est-elle réduite à ce programme de gouvernement étroit et violent, digne des plus basses époques et des plus aveugles réactions ? Est-ce Guichardin qui a écrit ces lignes, lui que nous avons vu, fin diplomate, administrateur énergique, dévoué patriote, déployer dans ces voies diverses une haute raison, une action vive et forte, une expérience consommée ? Le double malheur de la guerre civile et de la guerre étrangère a-t-il à ce point déjà fait déchoir l’ascendant d’une ville respectée et la dignité d’un caractère jusque-là honorable ? Guichardin n’avait aucune excuse et ne pouvait se faire aucune illusion quand il se donnait définitivement, comme il le fit après la mort du pape Clément VII, en janvier 1535, au service des nouveaux Médicis. Ce fut une odieuse et flétrissante tyrannie que celle des ducs Alexandre et Côme. Alexandre, âgé de vingt-deux ans, ne voulut aucun frein à ses viles débauches ; il prenait à tâche