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rôle de la rhétorique avait été de servir à la diffusion des lieux-communs, c’est-à-dire de ces maximes qui traduisent à chaque génération les progrès de l’esprit humain. Elle avait été l’organe de cette propagande des idées générales par laquelle la Grèce et Rome, et après elles l’Italie de la renaissance et la France moderne, ont servi avec une singulière puissance la cause de la civilisation. Dans Guichardin en particulier la tradition de cette rhétorique est facilement visible. Il semble qu’à ses yeux la chaîne des temps n’ait pas été rompue : homme du XVIe siècle, plongé dans la vie politique et pratique, il vit familièrement avec les souvenirs et presque avec la langue de Tite-Live, dont il applique les sentences à l’interprétation des vicissitudes contemporaines. Il écrit des dialogues à la manière platonique et cicéronienne, avec ces beaux préambules où il substitue sans effort à la peinture des bords de l’Ilissus et des environs d’Athènes, à celle des rives du Fibrène et du paysage d’Arpinum, le cadre également enchanteur des plaines de l’Arno, des horizons de Florence et des hauteurs de Fiésole. Cette forme littéraire des consolations lui est aussi un héritage antique. La rhétorique romaine, enivrée de son rôle, après s’être offerte à envelopper de formules éloquentes les systèmes de la philosophie grecque pour les faire passer de la région métaphysique dans le champ des doctrines morales, avait aspiré même à une sorte d’action sur les âmes en prétendant réunir certaines réflexions générales de nature, pensait-elle, à calmer à peu près tous les genres de douleur. Elle en vint à débiter ces pages consolatoires comme un empirique ses remèdes. Cela ne veut pas dire, bien loin de là, que nous devions, dans le morceau de Guichardin, ne voir qu’une œuvre entièrement factice ; le cadre seul l’est encore : il suffit de quelque attention pour comprendre que les couleurs sont vraies et répondent à des sentimens intimes. Cette page emprunte encore à une autre considération un sérieux intérêt. Les anciens rhéteurs n’avaient pas oublié, parmi les circonstances de la vie humaine de nature à troubler le plus profondément les âmes, les déceptions des politiques ; ils en avaient étudié les motifs divers, quelquefois uniquement l’ambition trompée, mais souvent aussi de très nobles regrets, de généreuses préoccupations de patriotisme. L’écrit de Guichardin a sur la plupart de leurs œuvres, toujours un peu factices, le double privilége de nous faire connaître ses idées, en signalant des traits tout particuliers à sa propre douleur, et de nous peindre une situation générale qui a pu se reproduire assez pareillement depuis pour prêter à de singuliers rapprochemens. Nous aurions pu citer l’écrit de Guichardin dans la traduction littérale attribuée naguère à M. Émile Ollivier, et qu’on a prise à tort pour une composition apocryphe.