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réussi, c’est donc tout au plus s’il s’attarde à énumérer les causes de cet échec. Quelle différence avec l’hommage décerné par l’auteur de l’Histoire florentine, encore visiblement ému de l’éloquence du moine de Saint-Marc, de sa vertu religieuse et patriotique, de son âme de feu ! Un fra Bartolomeo et bien d’autres s’étaient donnés au maître bien-aimé ; Guichardin, lui aussi, témoin adolescent, a été évidemment touché : il atteste son souvenir par un hommage d’admiration presque sans réserve, bien éloigné en tout cas des vagues expressions que consacre à Savonarole l’Histoire d’Italie. Est-ce seulement parce qu’il s’est fait dans cette dernière occasion une loi rigoureuse du calme qui convient au narrateur ? C’est bien plutôt parce qu’il s’est endurci au contact de la vie pratique. Nous cependant, au point de vue de l’étude morale, nous sommes heureux d’avoir retrouvé l’homme sous le politique et l’historien.

Il faut que Guichardin ait promptement acquis un grand renom comme avocat et comme juriste, puisque nous le voyons envoyé dès février 1512 avec une dispense d’âge (il n’avait pas atteint sa trentième année) en qualité d’ambassadeur en Espagne. Florence n’avait pas eu jusqu’alors de représentant dans ce royaume, dont l’essor tout récent n’était dû qu’à Ferdinand le Catholique ; mais, en présence de la sainte ligue formée en 1511 contre la France par le pape Jules II, Henri VIII, Venise, les Suisses et l’Espagne, la république florentine méditait de sauvegarder ses liens à la fois avec les Espagnols et les Français et de revendiquer sa neutralité. Le jeune ambassadeur était chargé d’agir en ce sens ; on lui recommandait en outre de profiter de son séjour dans la péninsule pour se rendre utile aux intérêts du commerce national. Le champ d’observation était des plus riches et des mieux choisis. La monarchie espagnole venait de révéler au dehors son importance nouvelle par les guerres d’Italie, tandis qu’à l’intérieur sa puissance s’était constituée avec de telles apparences de durée qu’il devenait à la fois très intéressant et très urgent pour les hommes d’état de rechercher d’où provenait cette grandeur, s’il était à croire qu’elle dût se continuer et s’augmenter dans l’avenir. François Guichardin, à défaut d’expérience, avait une finesse et une sûreté de jugement à la hauteur d’une telle tâche. Il réussit à se faire très bien venir du roi Ferdinand, puis à empêcher que, pendant cette période de trouble général, Florence fût tout d’abord inquiétée. Ce n’est pas tout ; il avait à cœur d’étudier, aux termes des instructions qui lui avaient été remises, les ressources du pays, son agriculture, son commerce, ses revenus, ses forces morales et le génie de ceux qui le gouvernaient. Guichardin fit avec soin cette multiple enquête ; nous en jugeons par ses dépêches adressées à la Balie de Florence, par ses lettres de famille, mais surtout par un important mémoire résumant ses observations,