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plus émouvantes, des plus sanglantes péripéties, elle n’était pas toujours défavorable pour nos soldats. Elle avait deux périodes. Jusqu’à midi, c’était à tout prendre, de la part des Allemands, une affaire incohérente, décousue et en définitive fort douteuse. Ainsi les Bavarois avaient commencé l’attaque sur notre gauche par les pentes de Nehviller, s’efforçant de déborder nos positions, et ils avaient été reçus avec une extrême énergie par la division Ducrot, qui les tenait en respect et leur infligeait les pertes les plus sérieuses. Avant onze heures, ils semblaient se retirer du combat, sur un ordre du quartier-général, qui ne les eût pas arrêtés sans doute dans une victoire. Au centre, des détachemens du Ve corps prussien s’étaient portés sur Wœrth, puis ils s’étaient retirés. Bientôt le général de Kirchbach, revenant à la charge, tentait un mouvement offensif non-seulement sur les rampes de Wœrth, mais sur les pentes d’Elsashausen. Ses soldats, après de violens engagemens, se voyaient repoussés et rejetés dans la vallée. Plus loin, entre Gunstett et nos positions de la rive droite, il y avait eu d’abord un formidable duel d’artillerie où quatre-vingts pièces allemandes mises en batterie avaient sans doute montré leur supériorité ; mais lorsque l’infanterie du XIe corps, passant la Sauer, avait voulu aborder la division Lartigue, elle avait vu tous ses efforts se briser contre nos bataillons, et elle avait dû se replier en laissant le terrain arrosé de son sang. L’état-major prussien avoue même qu’à un certain moment « le combat était sans direction, les compagnies ayant presque toutes perdu leur commandant. » Ainsi à midi les attaques allemandes avaient échoué, nos troupes restaient maîtresses de toutes leurs positions malgré la supériorité numérique déjà évidente de l’ennemi. Assurément, si le maréchal de Mac-Mahon avait eu à cet instant des forces suffisantes, il aurait pu tenter de poursuivre ses avantages en se jetant sur les Prussiens, qui étaient eux-mêmes étonnés de ne point être suivis l’épée aux reins. Puisqu’il n’avait pas ces forces, n’aurait-il pas pu du moins profiter de ce demi-succès pour reprendre le projet de retraite du matin ? C’était peut-être le cas, puisqu’à cette heure même il apprenait sur le champ de bataille, d’une manière sûre et pour la première fois, qu’il avait 140 000 hommes devant lui, auxquels il ne pouvait opposer que 35 000 soldats ; mais, s’il n’avait pu arrêter le combat le matin, il le pouvait encore moins à midi, sous l’œil de l’ennemi.

Qu’arrive-t-il alors ? Bientôt tout change de face. À mesure que les heures passent, les bataillons allemands s’épaississent devant nous. Au IIe corps bavarois, aux Ve et XIe corps prussiens engagés jusque-là vont se joindre les Wurtembergeois hâtant leur marche, le Ier corps bavarois entrant à son tour en ligne. Le prince royal, demeuré d’abord, à Soultz, voyant l’action s’aggraver contre son at-