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ment le terrain. Le bataillon du 74e de ligne enfermé dans Wissembourg repoussait longtemps toutes les attaques. Sur un autre point, aux abords de la ville, à la gare du chemin de fer, les turcos soutenaient avec une énergie désespérée le choc des Bavarois et des Prussiens réunis. Au Geisberg surtout, la lutte prenait le caractère le plus violent. Nos soldats, retranchés dans le massif château qui s’élève sur ces hauteurs, défiaient les forces démesurées qu’on lançait contre eux. Vainement les Prussiens se multipliaient et renouvelaient leurs tentatives ; ils échouaient toujours, contenus par la mousqueterie, par les charges à la baïonnette. En un instant, un bataillon des grenadiers du roi avait perdu presque tous ses officiers. Le commandant, le drapeau à la main, se jetait en avant, et tombait mortellement frappé sans avoir réussi à rétablir le combat.

L’assaut de front dirigé par le commandant du Ve corps lui-même, le général de Kirchbach, légèrement blessé à ce moment, eût été peut-être encore contenu, si une brigade du XIe corps, accourant de son côté, n’eût menacé de tourner nos positions. Ce n’est qu’à force d’hommes et de moyens d’artillerie, par un déploiement de plus de 25 000 soldats, que les Allemands finissaient par avoir raison de cette malheureuse division de moins de 5 000 combattans, qui depuis le matin tenait tête si énergiquement à Wissembourg comme au Geisberg, et qui ne cédait le terrain qu’après avoir infligé à l’ennemi une perte de près de 100 officiers, de 1 500 à 2 000 hommes. Elle avait perdu elle-même 1 200 hommes, elle laissait entre les mains des Prussiens le bataillon enfermé à Wissembourg, un certain nombre d’autres prisonniers, un seul canon démonté qu’on n’avait pu sauver. Tout cela se passait si vite que le maréchal de Mac-Mahon pouvait à peine être informé, que le général Ducrot, averti vers midi, au moment où il touchait Lembach, n’arrivait en courant sur les hauteurs du Pigeonnier que pour voir nos troupes déjà débordées, commençant à se replier dans la direction qui leur avait été indiquée par la route de Climbach.

Ce premier désastre aurait pu être évité, dit-on, si l’on eût refusé le combat, si on avait compris plus tôt qu’on devait se dérober devant un tel déploiement de forces. C’est facile à dire. Le général Douay ne pouvait sans doute supposer qu’on l’envoyait sur la Lauter pour assister l’arme au bras à l’entrée de l’ennemi en France ; il ne pouvait dans tous les cas se retirer ainsi qu’en soumettant ses soldats à cette dangereuse épreuve d’une guerre commencée par une retraite sans combat, par une contre-marche suivant à quelques heures d’intervalle une marche en avant. Wissembourg était non la faute de ce vaillant homme, mort à son poste, mais la première expiation du fractionnement de nos forces, de la combinaison qui avait placé là cette malheureuse division. Toujours est-il que