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extrémités sur de puissans réduits comme Metz, et Strasbourg, ayant pour elle en Lorraine des positions assez fortes, un réseau de rivières jusqu’à la Moselle, en Alsace les derniers défilés des Vosges, les rivières qui vont vers le Rhin, la forêt de Haguenau, — et pouvant, à la dernière extrémité, se retrancher dans les Vosges elles-mêmes, cette défense avait de sérieuses et efficaces ressources ; mais elle avait une faiblesse que les coalisés de 1815 lui avaient faite avec une prévoyance meurtrière pour nous, qui allait éclater dans ces événemens mêmes. Lorsque Louis XIV et Vauban avaient créé le système défensif français, ils avaient tenu à compléter ce système par Sarrelouis et Landau. Ils avaient compris que, même avec Metz, la Lorraine n’était pas suffisamment protégée, si Sarrelouis pouvait devenir le pivot d’un mouvement d’invasion tournant les Vosges. De même sans Landau fortifié le nord de l’Alsace restait à découvert. C’est justement par ces deux parties de la ligne que nous étions maintenant le plus menacés : preuve évidente que la France n’avait pas de si grands excès d’ambition lorsqu’elle paraissait désirer quelquefois une rectification de frontière !

Après cela, j’en conviens, la plus grande faiblesse de la situation pour le moment était encore l’inégalité des deux armées qui allaient se heurter sur cette frontière. Ces armées, elles, n’étaient pas seulement disproportionnées par le nombre, par l’organisation, elles l’étaient encore plus, s’il est possible, par la vigilance, par la manière d’entendre la guerre. Chose curieuse et triste ! tandis que dès le 24 juillet les Prussiens savaient avec une précision singulière la composition de nos corps, la place où ils étaient, le nom des généraux, la force des bataillons, des divisions, nos états-majors ne soupçonnaient pas ce qui se passait devant eux ; ils distinguaient peu la vérité. Le maréchal Bazaine, après son arrivée à Metz, augurait que les Allemands voulaient attendre une grande bataille dans les environs de Mayence, et il en était à écrire : « On pense généralement qu’une guerre qui durerait deux ou trois mois ruinerait et désorganiserait le pays. On n’a laissé que les infirmes dans les administrations, et l’on fait marcher tous les hommes valides de dix-huit à trente-six ans. » Voilà comment on était renseigné !

Les Prussiens ne divulguaient pas comme nous tout ce qu’ils faisaient, ils avaient des espions, c’est certain ; ils savaient, aussi s’éclairer par des pointes hardies. Malheureusement, il faut l’avouer, notre cavalerie si brillante au feu, si impétueuse à la charge, semblait peu faite à ce métier d’éclaireurs, et tel général demandait sérieusement à son commandant en chef de lui donner un bataillon d’infanterie bon marcheur pour aller en reconnaissance avec ses chasseurs ! Dernière circonstance enfin qui était une suprême inégalité, une irrémédiable faiblesse : les Allemands se disposaient à mar-