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sions dont on commençait à disposer vers le 25 juillet, aurait-on pu se jeter dans la Prusse rhénane et dans le Palatinat. On ne serait pas encore arrivé sans doute à des résultats bien décisifs. On n’aurait sûrement pas empêché les grandes formations allemandes qui s’accomplissaient beaucoup plus loin, qui restaient hors de nos atteintes. Du moins on aurait déjoué à quelque degré la première partie du plan de l’état-major de Berlin, on aurait contraint les armées allemandes à s’arrêter d’abord sur le Rhin, et on aurait éloigné pour le moment la guerre de notre frontière ; on aurait fait en un mot une diversion qui, sans décider assurément de l’issue de la campagne, aurait pu donner du temps, changer les impressions, ouvrir par un hasard heureux des perspectives imprévues et moins défavorables. Ce qui est certain, c’est que, de toute façon, les tentatives qui auraient pu avoir quelques chances les premiers jours, étaient devenues difficiles à la fin de juillet, à peu près impossibles au commencement d’août, et maintenant plus on allait, plus les rôles se trouvaient renversés. De jour en jour, les Allemands grossissaient, se fortifiaient et se concentraient sur la rive gauche du Rhin, prêts à engager la lutte, tandis que l’armée française ne pouvait plus s’augmenter sensiblement, et par le fait n’était préparée ni à l’offensive qu’on avait rêvée pour elle, ni même à une défensive nécessaire qui n’était entrée dans aucun des calculs de nos états-majors. Chose étrange en effet, on semblait s’être préoccupé uniquement, exclusivement de la marche en avant, de l’invasion du territoire ennemi, sans songer qu’on pouvait avoir à sauvegarder le territoire français, de sorte que le jour où l’initiative hardie qu’on avait rêvée contre l’Allemagne n’était plus possible, on se trouvait réduit à une immobilité inquiète sur une frontière dont on n’avait ni prévu ni sérieusement organisé la défense, dont la configuration n’était peut-être pas même très familière à plus d’un chef militaire. On y avait assez peu songé, à ce qu’il paraît, puisqu’un de nos généraux, envoyé, selon le mot du maréchal Lebœuf, pour être « l’œil de l’armée, » était obligé d’écrire au ministère : « le dépôt envoie d’énormes paquets de cartes inutiles pour le moment. Nous n’avons pas une carte de la frontière de France. Il serait préférable d’envoyer en plus grand nombre ce qui serait utile et dont nous manquons complétement. » Ce n’eût point été en effet une précaution inutile d’avoir la carte d’une région appelée à être avant quelques jours le théâtre même de la guerre.


III.

Cette région, c’était encore à ce moment la France de la Moselle, des Vosges, de l’Alsace. Sur un front irrégulier de 300 kilomètres