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pas de suppléer au nombre par l’impétuosité confiante, par la rapidité des coups. Quoi qu’en aient dit les Allemands, aucun préparatif n’avait été fait d’avance, si ce n’est peut-être pour l’embarquement éventuel de quelques régimens d’Afrique. Ce n’est que dans la nuit du 14 au 15 juillet que les ordres de mobilisation, d’appel des réserves, étaient partis. Dès le 16, le mouvement des troupes avait commencé, et à partir de ce moment, d’heure en heure, jusqu’aux derniers jours de juillet, jusqu’aux premiers jours d’août, c’était comme un torrent de soldats se précipitant de toutes parts vers la frontière pour former cette armée qu’on allait décorer du nom d’armée du Rhin. Le plan de campagne, que l’empereur a révélé depuis dans une brochure écrite sous son inspiration ou dictée par lui, qu’il ne communiquait d’abord qu’au maréchal Lebœuf, devenu major-général à dater du 20 juillet, et au maréchal de Mac-Mahon, appelé à un des principaux commandemens, ce plan était uniquement fondé sur la possibilité d’une action rapide. Avec les 300 000 hommes qu’on se flattait d’avoir en quelques jours sous la main, on croyait pouvoir se porter brusquement sur le Rhin par Maxau, entre Rastadt et Germersheim, contraindre l’Allemagne du sud à la neutralité, puis, en s’appuyant sur l’Autriche et l’Italie, qui se déclareraient alors, marcher à la rencontre des Prussiens, tandis qu’un corps de débarquement envoyé dans la Baltique, trouvant le Danemark pour allié, menacerait l’Allemagne par le nord. C’était la combinaison merveilleuse sur laquelle on comptait pour compenser l’inégalité numérique des armées ; mais pour tout risquer sur un tel plan, qui ne prévoyait pas même qu’on pouvait avoir à se défendre au lieu d’attaquer, il fallait d’abord partir ; il fallait autant de précision et de sûreté que de promptitude dans les mouvemens de concentration, dans les préparations d’effectif militaire et de matériel, dans les calculs de temps, de forces ou de ressources, et c’est ici malheureusement qu’éclatent le désordre, la confusion, le décousu, préludes des plus cruels mécomptes.

Le souci le plus obstiné du maréchal Niel pendant son ministère avait été justement la pensée de cette guerre qu’il n’appelait pas, qu’il prévoyait, et pour laquelle il sentait qu’il y aurait à faire un immense effort. Aussi, tant qu’il avait vécu, s’était-il appliqué avec une sollicitude ardente à préserver la France des surprises, s’occupant à la fois des armemens, des approvisionnemens et surtout des moyens de mobilisation. Dès 1868, une commission de quelques généraux et de quelques intendans avait été chargée, sous le sceau du secret, d’étudier tout ce qui était nécessaire pour mettre rapidement l’armée française sur le pied de guerre. Un travail d’ensemble avait été fait ; tout avait été prévu et réglé, la formation des armées, l’affectation des services administratifs aux combinaisons mi-