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Grande attendit. On ne lui apporta que de « mauvaises défaites. » À dix heures du soir, elle congédie la cour, qui « attendait l’issue de cette farce. »

Que s’était-il donc passé ? Nous le voyons par les papiers de Budberg. Catherine avait voulu faire signer au roi l’engagement formel de laisser à sa femme le libre exercice de sa religion. Gustave, soit qu’il se trouvât froissé de cette marque de défiance, soit qu’il eût des arrière-pensées de prosélytisme ou d’intolérance, refusa obstinément. Il écrivit que sa parole devait suffire et que tout autre engagement était superflu. C’était une grande maladresse que d’avoir mis en un tel point un caractère aussi opiniâtre. Catherine put bientôt se rendre compte de sa faute.

« Le lendemain 12 septembre, le régent et le roi me firent demander de venir me voir. Je les admis dans mon intérieur. Je vis le régent au désespoir. Pour le roi, je le trouvai raide comme un piquet. Il remit sur une table mon écrit, je lui proposai d’y faire un changement comme on le lui avait proposé la veille ; mais jamais ni les raisons du régent, ni les miennes, ne purent l’y résoudre. Il répétait continuellement les paroles de Pilate : ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ; je ne change jamais ce que j’ai écrit. Avec cela, il était impoli, entêté et opiniâtre comme une bûche, et même ne voulant ni parler, ni entendre parler. Le régent lui parlait souvent en suédois et lui représentait la conséquence de son opiniâtreté ; mais j’entendais qu’il lui répondait avec colère. Enfin au bout d’une heure ils s’en allèrent fort brouillés l’un contre l’autre et le régent pleurant aux sanglots. »

Du moins pouvait-on faire quelque fonds sur l’espèce de passion témoignée par le roi pour Alexandra ? Hélas ! Catherine fit une découverte qui lui causa la plus comique indignation. Le Suédois avait bien abusé de ses entretiens avec la jeune fille, mais d’une façon assez inusitée. L’amoureux n’était qu’un convertisseur ! « J’ai approfondi ce que c’était que ces entretiens ! s’écrie l’impératrice avec colère, et il s’est trouvé que, loin de l’entretenir de son penchant, ses discours roulaient sur la religion. Il tâchait de la convertir à la sienne dans le plus grand secret, prenant d’elle promesse de n’en parler à âme qui vive. Il voulait, disait-il, lire la Bible avec elle et lui expliquer lui-même les dogmes. Elle devait communier avec lui le jour où il la ferait couronner, ils m’ont fait l’honneur de me prendre pour une sotte aisée à duper ; tandis que l’on arrangeait le traité, le roi lui-même travaillait à pervertir dans le plus grand secret, sur le point de religion, ma petite-fille même ! À présent l’on dit que le roi n’est fâché de rien plus que de ce que ses travaux apostoliques ont été interrompus. » Gustave IV resta toujours l’homme que nous dépeint Catherine. Lors de son second mariage,