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des moineaux avec des étoupes allumées. Catherine, comme on le voit, a voulu épargner à ses petits-fils les exemples de fourberie et de férocité dont abondent les temps barbares et les vieilles chroniques.

Cependant les jeunes grands-ducs étaient arrivés à l’âge, l’un de six ans, l’autre de quatre ; on leur nomma pour gouverneur un Soltykof, et pour précepteur Frédéric-Charles Laharpe. Le futur « directeur de la république helvétique » était alors un jeune homme de vingt-huit ans qui avait étudié la philosophie à Genève et le droit à Tubingue. Sur la recommandation du baron Grimm, il fut appelé à Saint-Pétersbourg vers 1782 pour y faire l’éducation des grands-ducs. Bientôt ce précepteur de princes s’émut et se réjouit à la première explosion de notre révolution. Il y vit une occasion pour sa patrie, le pays de Vaud, de secouer le joug de l’oligarchie bernoise ; il rédigea même la pétition par laquelle les Vaudois demandèrent à Berne le redressement de leurs griefs. Il fut déclaré banni, ses biens confisqués. À la cour de Russie, ses ennemis en profitèrent pour le représenter à l’impératrice comme un complice des jacobins. À la suite d’un manque d’égards dont il eut à se plaindre, « Catherine la Grande, comme il le raconte lui-même, rencontra un homme aussi fier qu’elle-même. » Il quitta la Russie, revint à Genève, puis à Paris, et engagea une lutte acharnée contre le patriciat bernois. Il finit par obtenir du directoire rentrée d’un corps de troupes françaises dans le pays de Vaud et la proclamation de la république lémanique, une pierre d’attente pour la république helvétique ; mais ses ennemis parvinrent à lui rendre la vie impossible en Suisse. Auprès du premier consul, il ne trouva qu’un froid accueil. Trop républicain pour certaines républiques, c’est encore en Russie, auprès de son ancien élève Alexandre, qu’il rencontra en 1801 le plus de sympathies. Plus tard, en 1814, il le revit à son passage victorieux à travers l’Europe, et obtint de lui l’indépendance des cantons de Vaud et d’Argovie. Il vécut en Suisse d’une pension russe, et y mourut en 1838. La Société impériale ayant appris récemment qu’il se trouvait dans les papiers laissés par lui un certain nombre de lettres d’Alexandre, de Constantin et d’autres membres de la famille impériale, fit des démarches auprès d’un de ses parens, M. Monod. Une lettre du grand-duc héritier d’aujourd’hui obtint la cession, de ces précieux autographes ; ils ont été publiés dans le cinquième volume de la Société.

Catherine n’avait pu achever la bibliothèque d’éducation destinée à ses petits-fils ; elle chargea Laharpe de la continuer. Les cahiers qui la composent, et qui sont pour la plupart de la main d’Alexandre, sont conservés en trois cartons au ministère des affaires étrangères de Russie. Quatre cahiers sont-consacrés à des extraits de l’Instruction sur le nouveau code publiée par l’impératrice ; ils sont