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vos chambres vides, je me suis sauvée à toutes jambes. Au Palais-d’Été, j’ai évité le serrement de cœur en logeant vos enfans dans vos appartemens » Elle souhaite qu’en traversant l’Helvétie ils y prennent le mal des Suisses, le regret de la patrie. En effet, les voilà qui reviennent par l’Autriche, la Pologne, la Courlande. En d’autres termes, ils suivent le même chemin qu’au départ ; Catherine en est venue à ses fins. M. Harris avait raison dans ses pronostics. Les grands-ducs ont vu Vienne deux fois ; mais ils n’ont pas vu Berlin ! Quant à cette chère fille dont elle suit avec des anxiétés toutes maternelles chaque pas sur la marcheroute, elle sait bientôt lui faire comprendre que la stricte obéissance est toujours à l’ordre du jour. La jeune femme était revenue, paraît-il, fort éprise de la cour de France. Elle avait établi, nous dit le même ambassadeur, une correspondance régulière avec Mlle  Bertin et d’autres marchandes de modes parisiennes. Elle avait amené des nouveaux valets de chambre, des coiffeurs ; elle avait fait venir deux cents caisses pleines d’étoffes, de gazes, de pompons, comme ceux de la reine très chrétienne. Le goût fort naturel d’une jeune princesse pour la parure, comprimé longtemps dans la pauvreté relative du foyer paternel, soudainement réveillé au spectacle du luxe de Versailles, se donnait pleine carrière chez l’opulente grande-duchesse de Russie. Laissant à sa belle-mère le soin de réformer l’empire, elle se contentait de faire des révolutions dans la coiffure. Catherine châtia en vieille coquette cette coquetterie de jeune femme. Elle infligea à sa bru une de ces dures leçons de simplicité comme elle-même en avait tant reçu d’Élisabeth. Un oukase de boudoir proscrivit les falbalas, les blondes, les broderies françaises. La grande-duchesse, profondément affectée de la ruine de ses espérances, dut se soumettre ; mais n’est-il pas curieux de voir Catherine la Grande descendre à de si mesquines persécutions contre la jeune cour ? Telle était pourtant, malgré la correspondance pleine d’effusions que nous venons de parcourir, la situation faite à cette Marie Feodorovna qui devait donner à la maison de Russie quatre fils, dont deux empereurs, et cinq filles, dont une faillit devenir impératrice des Français et dont deux furent reines. Voilà la sévère dépendance où Catherine II maintenait cette future tsarine qui, après la mort tragique de Paul Ier, devait avoir sur son fils Alexandre une influence si fatale à la fortune de Napoléon Ier.


VI.

Ces petits-enfans dont Catherine II parle si souvent dans ses lettres, c’étaient les jeunes grands-ducs Alexandre et Constantin. Ils avaient, au commencement de ce voyage, l’aîné quatre ans et le cadet deux ans. Catherine paraît avoir été aussi tendre pour eux