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intitulée Instruction pour les personnes qui seront placées auprès de la grande-duchesse Catherine Alexiévna. C’est Bestouchef lui-même, l’ennemi de la princesse d’Anhalt, qui l’a rédigée. Cette tyrannie que nous dénoncent les Mémoires, en voici le plan et la formule. « Nous entendons, est-il dit dans cette Instruction, que son altesse impériale n’ait pas seulement extérieurement et en apparence, mais effectivement et sincèrement une piété sans fard, une vénération et un zèle sans bornes pour la foi orthodoxe. Il vous est ordonné et enjoint d’y tenir la main, d’y inciter son altesse impériale par de fidèles conseils, et au besoin de lui rappeler et assurer que telle est notre volonté. » Est-ce une piété sans fard qu’on espérait éveiller en elle par cet abus d’autorité ? et tenait-on à corrompre de toute façon le cœur de cette jeune femme en lui montrant l’hypocrisie religieuse associée à la corruption des mœurs ? Catherine était en apparence toute confite en dévotion : pour obéir à son impérieuse maîtresse, elle jeûnait, priait, se confondait, à la mode russe, en signes de croix et en génuflexions. Au fond, quel était l’état de sa conscience ? Elle nous l’a révélé plus tard dans une lettre à Mme  Geoffrin[1] : « J’ai eu aussi des boutades de dévotion dans ma jeunesse ; j’étais entourée de dévots et d’hypocrites. Il y a quelques années qu’il fallait être l’un ou l’autre ici pour avoir un degré de relief. »

Voilà pour la religion ; voici pour l’amour conjugal. « Le choix de son altesse impériale, continue l’Instruction, pour la digne épouse de notre cher neveu le grand-duc héritier, son élévation à la dignité d’altesse impériale, n’ont eu lieu que dans le dessein et dans l’espérance qu’elle inspirera par sa sagesse, son intelligence et ses vertus un sincère amour à son époux, qu’elle gagnera son cœur et qu’elle donnera un héritier à l’empire et un rejeton à notre maison souveraine… Nous espérons donc que son altesse impériale, considérant que son bonheur et sa félicité en dépendent, ne perdra point de vue un but aussi important et que, pour l’atteindre, elle emploiera, en ce qui la concerne, toutes les complaisances et tous les moyens possibles. En conséquence nous vous ordonnons instamment de remettre sans cesse sous les yeux de son altesse un vœu si important pour nous et pour la patrie, de l’inciter en toute occasion à se montrer envers son époux douce, bonne, affable, empressée à lui complaire et à lui obéir, à lui témoigner de l’amour, de la tendresse et de la passion, etc. » Pour que l’exemple fût joint au précepte, on mettait auprès d’elle une Tchoglokof, sotte et méchante, mais que a l’on croyait extrêmement vertueuse, parce qu’elle aimait son mari à l’adoration. » Ce document de chancellerie est

  1. Janvier 1766. Sbornik istoritcheskago obchtchestva, t. Ier, p. 280.