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ou l’insecte tellement réduit en nombre que sa présence devienne presque inoffensive ? Cette résistance au mal existe chez certains cépages américains naturellement vigoureux ; mais, pour notre vigne européenne, toujours délicate vis-à-vis de l’insecte, la résistance ne pourrait venir que de certaines conditions de culture telles que la fertilité exceptionnelle du sol, les fumures abondantes, les arrosages d’été, tout ce qui favorise la production rapide des radicelles adventives venant remplacer sur les racines moyennes ou grosses de la plante le chevelu normal détruit par l’insecte. Je suis bien loin de nier les bons effets de ces moyens culturaux ; malheureusement ils sont précaires, transitoires, livrés à toutes les chances d’échec, en somme insuffisans. Un système plus logique serait d’associer les insecticides et les substances fertilisantes, les premiers pour combattre la cause du mal, les secondes pour en atténuer les effets. La théorie parle en faveur de cette méthode éclectique, qui semble devoir concilier les vues divergentes sur le rôle du phylloxera. Ceux qui voient dans l’insecte la cause du mal sont loin de nier l’action utile des engrais ; ou de tout agent permettant à la vigne de se défendre : ils conçoivent même que l’équilibre puisse se rompre en faveur de la vigne contre l’insecte ; mais ils comptent peu sur un triomphe final, et s’inquiètent de la présence constante d’un ennemi toujours prêt à reprendre l’offensive alors même qu’il semble dompté.

Il faut bien le dire du reste, les partisans du phylloxera effet n’ont jamais été dans la pratique au bout de leurs théories. J’en sais un qui nous écrivait gravement de son cabinet : « Mettez une cafetière d’eau au pied de chaque cep, et tout sera dit ; » mais l’auteur de ce beau conseil se gardera bien d’en réclamer la paternité : depuis lors les pluies diluviennes n’ont pas sauvé les vignes de Provence, et voilà du coup mise de côté la théorie qui cherche dans la sécheresse la cause de la maladie. Les grands froids, invoqués d’abord au même titre, ne comptent plus aujourd’hui que comme causes débilitantes et pour quelques-uns prédisposantes. Que restait-il en présence ? D’un côté, un insecte dont l’action est fatalement nuisible, puisqu’il est né suceur et que les tissus s’altèrent à la suite de ses piqûres, de l’autre un arbuste qui se défend comme il peut, profitant de toutes les circonstances favorables pour émettre de nouveaux suçoirs sous forme de radicelles adventives, pour régénérer son écorce sous l’ancienne écorce pourrie ; le rôle du vigneron est tout tracé, c’est de détruire autant que possible l’insecte et de soutenir la vigne.

Dans cette lutte contre l’insecte, la nature nous refuserait-elle des auxiliaires ? En d’autres termes, l’ennemi de la vigne n’aurait-il pas lui-même des ennemis naturels ? Il en a sûrement, et plus d’un,