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migrateur, les migrations elles-mêmes sont un fait incontestable, et la direction divergente de ces exodes par rapport à des premiers centres bien constates prouve qu’il s’agit d’un mal importé, localisé d’abord sur quelques points circonscrits, puis étendu par voie d’invasion sur des surfaces de plus en plus vastes.

Au fond, les diverses théories émises sur le rôle du phylloxera dans la maladie nouvelle de la vigne peuvent se réduire à deux : le phylloxera effet et le phylloxera cause, sans parler d’une sorte de compromis entre ces deux systèmes opposés, où l’insecte est considéré comme cause, mais avec cette restriction qu’il n’atteindrait sa puissance d’agent destructeur que sur des lignes préalablement souffrantes[1]. D’après la première théorie, le phylloxéra ne serait que le résultat d’un affaiblissement d’une altération préalable de la santé des vignes, affaiblissement dû, suivant les uns, à l’épuisement du sol par suite de la longue culture de la même plante, suivant d’autres au mode de taille des vignes (taille courte au lieu de la taille à bois de remplacement ou de la culture en treilles ou hautains), — suivant d’autres encore à des intempéries de saisons ou bien à une prétendue dégénérescence qui se produirait à la longue chez tous les arbres fruitiers, à cause de leur multiplication ancienne par la bouture, la marcotte ou la greffe, substituée à tort à la multiplication par semis.

Si l’on fait à ces diverses hypothèses l’honneur de les exposer, c’est par esprit d’impartialité d’abord, mais c’est surtout parce que la méthode scientifique est restée assez étrangère à notre public français pour que les vérités de sens commun, en fait d’histoire naturelle principalement, aient besoin d’être démontrées, tandis que les subtilités creuses, les raisonnemens vides en dehors des faits, n’ont besoin que d’un peu de rhétorique pour séduire non-seulement les ignorans, mais bien des gens instruits et d’ailleurs sensés. Dis-

  1. Ce système mixte est celui auquel semble s’être arrêté aujourd’hui un viticulteur justement célèbre, M. Henri Marès, de Montpellier. Pour lui, le phylloxera serait vraiment cause dans la maladie en question, mais il attaquerait de préférence les vignes situées dans des terrains mouilleux ou dans les terrains trop secs. Pour moi, les faits qui semblent au premier abord appuyer cette théorie peuvent s’expliquer par d’autres raisons que celles qui font accorder à l’insecte la faculté de choisir en quelque sorte son terrain et ses victimes. Si la maladie est en effet plus foudroyante qu’ailleurs dans les terrains mal ressuyés, cela tient probablement au fait bien constaté que les terrains argileux en général, qui se fendillent pendant l’été, favorisent la marche de proche en proche de l’insecte ; quant aux terrains secs, ou plutôt aux terrains maigres, les symptômes du mal s’y montrent de meilleure heure, parce que la vigne attaquée s’y défend moins bien que dans les sols plus fertiles ; mais on peut dire que le mal s’est montré aujourd’hui dans toutes les conditions possibles de milieu, et que l’insecte ne choisit pas les vignes souffrantes, puisqu’il recherche au contraire les racines bien saines.