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entier qu’une alluvion postérieure à la guerre de Troie, qu’au temps de cette expédition la ville se serait trouvée sur le rivage ; il ne serait donc pas resté de place pour le développement des armées. Ainsi Démétrius reportait Ilion vers le fond de la plaine, au lieu nommé à cette époque Iliéôn-cômé, un peu en avant d’Atchi-Kieui ; il avouait cependant que l’on n’y trouvait aucune ruine ; mais on savait aussi que Troie avait été ruinée par les Grecs de fond en comble. Le fait naturel allégué par Démétrius était exagéré : les terrains en avant d’Hissarlik sont des alluvions anciennes, de beaucoup antérieures aux temps épiques et peut-être même à la présence de l’homme sur la terre. L’alluvion moderne ne comprend qu’une lisière de lagunes et de terrains salés allant de Yéni-Cheir au tombeau d’Ajax. L’objection de l’historien grec serait tombée d’elle-même devant un examen plus scrupuleux du pays. Strabon lui donna de l’autorité en l’acceptant ; mais Strabon n’était pas allé en Troade, et au fond son opinion n’avait que la valeur de celle de Démétrius. Cependant elle paraît n’avoir pas été adoptée par le public de la longue période gréco-romaine, car au temps où l’empire romain se divisa, et où il fallut choisir une capitale pour l’empire d’Orient, il fut question de Troie, et l’on n’entendait pas par ce mot un autre site que celui où était alors la ville des Iliens, le moderne Hissarlik. Cette ville avait acquis une certaine importance, si l’on en juge par l’étendue de sa partie fortifiée ; elle était le principal centre de population de la plaine de Troie.

Le problème, résolu de deux façons si opposées par les érudits de l’antiquité et par la tradition populaire locale, a dormi pendant tout le moyen âge, et a passé inaperçu à travers les temps modernes jusqu’à la fin du siècle dernier. En 1788, Le Chevalier visita la Troade et, à son retour en France, écrivit une relation qui eut un grand succès : en 1802, on en publiait la troisième édition. Ce voyageur n’avait aucunement étudié le site d’Hissarlik, et, s’écartant un peu de l’idée de Démétrius de Scepsis rapportée par Strabon, il plaça la Troie homérique sur l’emplacement du village actuel de Bounar-Bachi. Il crut reconnaître dans les sources qui naissent en avant de ces collines les deux sources d’eau chaude et d’eau froide dont il est parlé dans Homère. Les hauteurs rocheuses qui s’élèvent au-dessus du village et finissent par un escarpement au sud-est furent la Pergame de Troie. Les pierres taillées et les poteries répandues sur le sol lui semblèrent provenir d’Ilion saccagé, et les trois tertres tumulaires qui se voient au sommet de cette sorte de citadelle furent attribués aux héros troyens ; l’un de ces tertres reçut le nom de tombeau d’Hector. Par l’examen et la discussion des textes, on fixa autour de la plaine les emplacemens des lieux cités