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connus, par exemple de ceux de l’arsenal de Venise et du célèbre Mausolée ; tout porte à croire que nous sommes devant une œuvre primitive, en étroite parenté avec les œuvres de l’Égypte et de l’Assyrie. Plusieurs statues de femmes, malheureusement sans têtes, appartiendraient aussi aux premières époques.

Quelle que soit l’importance de ces morceaux, le principal prix de la collection des marbres de M. Rayet est la valeur architecturale qu’ils présentent. De Hiéronda, il a rapporté un magnifique chapiteau de pilastre orné de deux griffons affrontés, l’un mâle, l’autre femelle, séparés par un fleuron, et qu’on peut voir chez MM. de Rothschild. Tout le reste appartient désormais au Louvre : trois demi-chapiteaux de retour d’angle, ornés chacun d’un griffon ; deux chapiteaux, décorés au centre d’une palmette, des deux côtés de laquelle se développent des rinceaux ; plusieurs morceaux d’un bandeau décoré, qui reliait entre eux les chapiteaux des pilastres : chaque intervalle orné de chimères séparées par une lyre ; le chapiteau d’ante décorant jadis un des angles postérieurs du naos du temple didyméen ; enfin deux des bases sculptées qui supportaient les dix colonnes de la façade principale. Ce sera la tâche de MM. Rayet et Albert Thomas d’exposer dans un grand ouvrage, pour lequel l’appui du gouvernement et le concours d’un de nos grands éditeurs ne leur manqueront pas, tout le détail de leurs fouilles, tout le prix de leurs découvertes, et de tenter la restitution de ce grand temple d’Apollon didyméen, célèbre à l’époque d’Alexandre par son incomparable richesse. En attendant, les artistes, exercés à ce travail de réédification par la pensée, calculeront déjà, par la seule vue des morceaux exposés au Louvre, quelle devait en être la majesté. Ils redresseront en esprit ces nombreuses colonnes dont les bases, fouillées avec tant de délicatesse, offrent une dentelle de marbre dessinée avec toute la pureté grecque. Ils imagineront, en replaçant à 20 mètres de hauteur le chapiteau d’ante d’un des angles du naos, avec sa large palmette à l’angle, avec, sur chaque face, une figure de femme ailée se terminant par des feuilles d’acanthe et des enroulemens, quels jeux de lumière et d’ombre devaient résulter de ces saillies hardies, de ces creux en forte opposition, de ces motifs aériens. Ils compareront enfin ces ornementations nouvelles à celles du temple d’Antonin et de Faustine et du forum de Trajan, et ils mesureront une fois de plus, mais en des rapports nouveaux, quelle distance sépare l’art romain, dans ses œuvres les plus parfaites, des modèles helléniques dont il aime à s’inspirer.

L’histoire de l’architecture tient de très près à l’histoire des autres arts, qui peuvent rarement se passer d’elle. Ainsi a pensé l’éminent directeur de notre École des Beaux-Arts, M. Guillaume, quand il a cru indispensable d’offrir aux jeunes artistes, dans la nouvelle salle d’étude  qu’il a instituée, à côté des reproductions des statues grecques, quel-