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diesse excessive ; mais l’exubérance et la diversité de cette floraison vivante ne ressortent que mieux par cette prodigalité et ces contrastes.

L’esprit de l’auteur présente deux caractères qui sont rarement réunis, une invariable fixité dans ses convictions personnelles et une ardente curiosité des opinions étrangères aux siennes ; je n’ai pas besoin de beaucoup insister pour faire comprendre comment cette double tendance a pu se révéler plus librement sous cette forme de l’entretien qu’elle ne l’aurait pu sous toute autre. Sa foi, d’une orthodoxie irréprochable, est de l’ordre très rare de celles qui ne redoutent rien de ce qui peut leur servir à s’expliquer à elles-mêmes et à se confirmer en elles-mêmes ; aussi les hérésies les plus hardies et les nouveautés les plus hasardeuses n’ont-elles rien dont elle s’étonne ; mais il y a mieux que de la curiosité dans cette recherche, il y entre un très piquant et très original besoin de prosélytisme. Il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, dit l’Écriture, qui nous apprend encore que les ouvriers de la onzième heure sont de tous les plus agréables à Dieu. Eh bien ! l’auteur des Soirées de la villa des Jasmins pense, à l’égard des hérétiques et des novateurs, comme l’Écriture à l’égard des pécheurs repentans et des justes en retard. Ce que l’auteur cherche en eux, c’est moins des adversaires que des auxiliaires ; elle aime à les surprendre en flagrant délit d’orthodoxie, à les transformer en ouvriers de la onzième heure, et elle y réussit souvent avec bonheur. Cette prédilection n’a pour notre part rien qui nous étonne, car les orages d’une conscience sincère sont un spectacle tout autrement noble que la paix routinière d’une conscience qui ne s’interroge pas, et le sentiment religieux se rencontre bien plus fortement dans les tourmens et les défaillances d’une âme égarée par excès d’amour du vrai que dans les affirmations et les témoignages d’une orthodoxie qui ne connut jamais le doute, ni l’inquiétude. Les aveux vibrans d’Henri Heine, les sentences impartiales de Goethe, les sarcasmes et les blasphèmes de Byron lui-même viennent donc tour à tour témoigner en faveur des croyances de l’auteur : Henri Heine surtout, qu’elle a beaucoup lu et bien compris, lui fournit plus d’une pensée profonde à l’honneur du christianisme en général et à la défense du catholicisme en particulier. Bref, j’en ai dit assez pour faire comprendre que l’auteur des Soirées de la villa des Jasmins, dans sa manière de comprendre la religion, est tout à fait à l’opposé de ce célèbre homme d’église qui, lors des affaires de la constitution Unigenitus, impatienté de s’entendre opposer sans cesse les autorités de saint Paul et de saint Augustin, répondit si vertement, s’il faut en croire Duclos : « Saint Paul et saint Augustin étaient des têtes chaudes qu’il faudrait mettre à la Bastille, s’ils vivaient de nos jours. » Elle au contraire est du parti des têtes chaudes qui portent dans la religion ardeur, imagination et enthousiasme.