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il était urgent d’aviser. Fouquet, qui depuis 1653 avait été l’instrument de Mazarin et s’était enrichi comme lui aux dépens de l’état, fut révoqué de ses fonctions de surintendant, traduit devant une chambre de justice[1], et remplacé par Colbert, qui prit le titre de contrôleur-général.

Deux faits importans, la création d’un conseil de finance et l’installation d’une chambre ardente, signalèrent l’avénement de Colbert. Le conseil, présidé par le roi, examinait les questions relatives à l’impôt, à la dette publique, à la comptabilité. Il étudia, pour y surprendre le secret de la misère publique, les cahiers des états de 1614, ceux des assemblées des notables de 1617 et 1627, et il dressa, d’après ces cahiers et les vues du nouveau contrôleur-général, un plan de réorganisation qui embrassait tout le système financier. La chambre ardente, qui siégea sans interruption pendant quatre ans, soumit à une enquête sévère la gestion des traitans et des comptables depuis 1635, c’est-à-dire dans les limites de la prescription trentenaire. Elle ne fonctionna pas seulement comme la plupart de celles qui furent instituées sous l’ancien régime pour vendre l’impunité, elle fonctionna pour punir, et, tout en frappant les coupables de condamnations rigoureuses, elle leur fit restituer 110 millions. C’est ainsi que s’annonça cette révolution de l’ordre et de la probité qui fut la gloire et la force des premières années du règne de Louis XIV. Combler le déficit par une économie sévère, ne jamais engager l’avenir par des emprunts, des aliénations ou des anticipations de crédit, faire face aux nécessités du moment par des fonds toujours disponibles, augmenter les revenus publics en allégeant les charges des contribuables, mettre un terme à la déperdition des forces financières par la répression des fraudes et des détournemens, la simplification des rouages et la diminution des frais de régie, tels sont les principes sur lesquels repose le programme de Colbert ; en substituant une méthode rationnelle à l’aveugle empirisme des expédiens, ce grand homme tenta pour les finances une réforme analogue à celle que Bacon et Descartes avaient tentée pour les sciences et la philosophie, et pendant vingt-deux ans il en poursuivit la réalisation avec cette inflexible rigueur qui le fit nommer par Guy Patin l’homme de marbre.

Encouragés par l’exemple de ceux qui tenaient dans leurs mains

  1. Nous n’entrons point ici dans la discussion des faits qui se rattachent à la disgrâce de Fouquet. Au point de vue particulier du sujet qui nous occupe, tout se réduit à cette question : le surintendant avait-il usé de son pouvoir pour s’enrichir frauduleusement ? L’affirmation sur ce point n’est pas douteuse. Louis XIV, en le faisant condamner, accomplissait strictement son devoir de roi, et nous avons peine à comprendre l’intérêt qui s’attache encore aujourd’hui au trop célèbre concessionnaire.