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butions indirectes, auxquelles il soumet également toutes les classes, et qui comprennent la gabelle du sel, les droits de denier, obole et pite, sur les opérations de banque faites par les Lombards, les 6 deniers pour livre sur la vente des marchandises et les traites foraines, qui se perçoivent aux frontières du royaume, sur les produits du sol, les matières premières et les objets manufacturés que la France exporte à l’étranger, car il est à remarquer que nos premières douanes ont eu pour objet non pas de protéger par des droits prohibitifs notre commerce contre la concurrence étrangère, mais seulement de retenir autant que possible dans le royaume les produits du sol pour favoriser l’industrie indigène, et les produits de cette industrie pour favoriser les consommateurs[1]. Pendant les vingt-trois années du règne de Philippe le Bel, le chiffre total des impôts publics fut d’environ 1 100 millions, mais cette somme ne pouvait suffire à couvrir les dépenses, et Philippe, pour combler le déficit, eut recours aux derniers attentats. Il confisqua la vaisselle d’or de ses sujets au moyen d’ordonnances somptuaires, dépouilla les Juifs et les Lombards, altéra vingt-deux fois les monnaies, et, couronnant par un grand crime une longue série d’exactions, il voua les templiers à la proscription et à la mort pour s’emparer des 130 millions qui constituaient en France la fortune de cet ordre célèbre[2] ; c’est là le vrai motif, et, quoi qu’on en ait dit, les accusations d’impiété et de doctrine secrète ne sont que des prétextes, dont la vieille monarchie n’a pas craint de s’armer plus d’une fois pour justifier les confiscations.

Jamais le royaume n’avait été soumis à de pareils sacrifices. Des révoltes éclatèrent dans les principales villes, à Paris, à Rouen, à Orléans ; les bourgeois frappés de taxes arbitraires, les nobles dépouillés de leurs franchises, formèrent des coalitions menaçantes. Philippe, pour conjurer les résistances et donner à ses actes la sanction du droit national ou du moins les apparences de cette sanction, fit appel aux états-généraux, et leur demanda de voter des subsides en déclarant que, s’ils les accordaient, « c’était de

  1. Voyez, sur les mesures financières de Philippe le Bel, Rec. des Ordonn., t. 1er, p. 324, 410, 443, 460, 542, 548. — Géraud, la Taille de Paris en 1292. Le nombre des contribuables était alors dans cette ville de 15 200 sur une population de 213 000 âmes. Ces contribuables payaient ensemble 12 218 livres, ce qui vaut 1 505 500 livres de notre monnaie. En supposant que la taille ait représenté le cinquantième du revenu conformément aux ordonnances royales, le revenu total des 15 200 contribuables se serait élevé à 75 790 000 livres.
  2. Voyez, pour les exactions fiscales de Philippe le Bel, le livre de M. Boutarie, la France sous Philippe le Bel, Paris 1861. On y trouvera l’analyse détaillée des textes qui se rapportent à ces mesures et de nombreux extraits de ces textes. C’est un excellent travail d’érudition.