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d’énumérer en détail, les ressources ordinaires de la royauté française sous les premiers Capétiens. Elles donnent en 1238 un produit de 285 280 livres, soit en monnaie moderne environ 13 050 000 fr., et 178 530 livres seulement en 1248[1], soit 8 550 000 fr. La différence qui existe entre les deux années prouve que ce produit n’avait rien de fixe, et qu’il devait rester souvent bien au-dessous des besoins : aussi les rois étaient-ils obligés, pour compléter leurs budgets, de recourir à une foule d’expédiens. Ils créaient des foires et des marchés sur lesquels ils se réservaient des profits[2], ils réformaient moyennant finances de « mauvaises coutumes » et se faisaient payer par les bourgeois des sommes plus ou moins fortes pour les protéger contre les vexations des seigneurs ecclésiastiques ou laïques ; ils demandaient à titre de don des secours d’argent aux villes du royaume[3], aux grandes abbayes, aux dignitaires du clergé séculier. Comme ces secours, qui d’ailleurs leur étaient rarement refusés, ne constituaient pas un revenu certain, ils commencèrent, dès la seconde moitié du xiie siècle, à chercher non plus au nom du droit féodal, mais au nom du droit monarchique, des ressources plus importantes et moins aléatoires dans des impôts généraux levés par tout le royaume, et qui, sans être également et régulièrement répartis sur tout le territoire et sur toutes les classes, devaient du moins porter sur la partie la plus riche de la population et recevoir une destination utile à tous[4]. C’était là, au point de vue de la force et de l’unité du pays, une grande et utile entreprise ; mais elle se heurta, par suite de l’organisation sociale, contre de nombreuses difficultés. En effet, les rois ne pouvaient, en dehors de leur domaine, lever des aides de rigueur que du consentement de leurs vassaux. La noblesse ne voulait acquitter que les redevances qui lui étaient imposées par les coutumes féodales ; l’église, assimilant ses biens au patrimoine de Saint-Pierre, prétendait les placer au-dessus des atteintes du fisc royal. Les provinces successivement

  1. Dissertation sur les dépenses et les recettes ordinaires de saint Louis, par MM. de Wailly et Guigniaut, Recueil des historiens de France, t. XXI.
  2. Voyez entre autres le traité conclu en 1208 par Philippe-Auguste à l’occasion de la foire de Saint-Taurin. Ce prince porte la durée de la foire d’un jour à sept à la condition qu’il en partagera les profits. — Delisle, Cartulaire des actes de Philippe-Auguste, p. 248.
  3. Ce fut avec des dons de cette espèce, dona domini regis, que saint Louis acquitta en 1258-1259 l’indemnité due au roi d’Angleterre Henri III pour la cession de ses droits sur la Guyenne et plusieurs autres provinces françaises. Les sommes payées en cette circonstance sont consignées dans les comptes de recettes et de dépenses présentés par les communes à saint Louis pour la vérification de leur situation financière. Mathieu Paris, Hist. major Angliœ, an. 1258-1259.
  4. Bailly, Histoire financière de la France, t. I", p. 55.