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qui rendent cependant tant de services aux colonies sucrières de Maurice et de la Réunion, dans la mer des Indes. Ces engagés se contentent d’un très modique salaire, vivent d’un peu de riz et de poisson salé, couchent volontiers sur la dure, et, faciles à conduire, font docilement leur besogne. Il n’est pas douteux que l’Amérique du Nord n’ait grand intérêt à remplacer par ces coulies hindous, à défaut des coulies chinois, les noirs libérés qui ne veulent plus travailler, et qui peu à peu disparaissent, s’éteignent sans faire souche, comme il est arrivé dans les anciennes îles de France et de Bourbon à la suite de l’émancipation des esclaves.

Les races anglo-saxonne, germanique, scandinave et la race chinoise sont jusqu’ici les seules, on l’a vu, qui aient abordé l’Amérique du Nord par essaims réguliers et toujours de plus en plus nombreux, au moins pour les premières. Il est curieux que la race latine se soit presque entièrement tenue en dehors de ce mouvement. Les Italiens préfèrent se rendre dans les républiques de l’Amérique du Sud, principalement à la Plata, où ils sont aujourd’hui au nombre de près de 100 000, et les Français n’émigrent presque plus, eux qui ont cependant, au xviie siècle, colonisé si brillamment non-seulement l’Inde, mais encore l’Amérique du Nord, au Canada, à la Louisiane, dans les Antilles, et jusque dans les solitudes du grand ouest, dans les vallées du Mississipi et du Missouri. Ils y ont laissé des traces ineffaçables, si bien qu’une partie des noms géographiques y sont restés français. On a dit tout à l’heure que nous n’avions pas su revenir utilement même sur ces points. Ce n’est pas le cas de développer ici les raisons, d’ailleurs multiples et complexes, qui nous ont rendus impropres à cette expansion au dehors, dont nous avions jadis donné les premiers si brillamment l’exemple. Un coup d’œil jeté sur notre état social et politique depuis quatre-vingts ans explique en partie notre décadence en matière de colonisation lointaine. Les seuls qui émigrent encore en France, les Basques, préfèrent se rendre comme les Italiens dans la Plata plutôt qu’aux États-Unis. Cette émigration a préoccupé à diverses reprises l’administration française, notamment dans les dernières années du second empire. Il nous souvient que le ministre de l’intérieur d’alors, nourri cependant des saines doctrines de l’économie politique, voulut un jour arrêter ce courant en répandant officiellement le bruit, dans une de ses circulaires, que les émigrans ne trouvaient à la Plata ni protection, ni terres, ni moyens d’existence, et qu’ils y mouraient tous de faim ; le mieux était donc de ne pas partir. Ceux qui partaient sur la foi de correspondances envoyées de là-bas par leurs amis et leurs parens savaient bien cependant le contraire, et le ministre impérial en fut quitte pour ses téméraires