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binson[1]. Bien entendu, les autorités supérieures feignirent de se livrer à des recherches dont l’hypocrisie ne trompa personne.

Mme Stenhouse n’insiste pas sur ces hideux détails. Échappée enfin à la loi de fer de Brigham Young, elle n’a écrit le livre qui nous occupe que pour initier le monde chrétien aux horreurs de la polygamie. Elle en montre aussi les ridicules. Un jeune mormon par exemple épouse fréquemment une femme assez vieille pour être sa grand’mère, et qui, portant son nom dans la communauté, attend la gloire d’une union plus intime au temps de la résurrection. C’est le même sentiment qui dicte les mariages par procuration. L’une des femmes de Brigham Young est scellée à Joseph Smith, dont Brigham occupe la place en ce monde ; mais femmes et enfans retourneront là-haut à Joseph. On cite une dame qui voulut être scellée à Jésus, le Christ ayant, selon la foi mormonne, consacré la polygamie en épousant plusieurs femmes, entre autres les sœurs Marthe et Marie, témoin les noces de Cana, où il jouait le rôle du marié, Brigham Young lui répondit qu’il ne pouvait aller aussi loin, mais qu’elle aurait le meilleur après Jésus-Christ, c’est-à-dire Joseph Smith. Ces mariages de foi peuvent être exclusivement spirituels, si la dame est vieille ou laide et ne plaît pas au remplaçant de son fiancé céleste. Quoi qu’il en soit, le principe dominant du mormonisme est le mariage. L’homme et la femme ne sont pas parfaits l’un sans l’autre, et ne parviendraient, dans le célibat, qu’à l’état de serviteurs des saints. La gloire éternelle d’un mormon dépendra du nombre de ses femmes, la gloire d’une mormonne du nombre de ses enfans. Le but de cet enseignement est assez clair ; il s’agit de recruter le plus de saints possible pour la prospérité du royaume dont Brigham est le chef, en attendant le règne de Dieu. Ce qui s’explique moins bien, c’est le baptême par procuration : une Française mormonne s’est fait baptiser pour l’impératrice Joséphine et son fils pour Napoléon Ier. Washington a reçu le même honneur ; il est membre de l’église en la personne du juge Adams de Springfield.

On comprend que de pareilles grossièretés, jointes à de pareilles folies, suffisent à désabuser les honnêtes gens d’Utah. Longtemps le mormonisme a été protégé par l’isolement que formaient autour de son berceau des distances infranchissables, longtemps une apparence de persécution lui a prêté du prestige, mais sa prospérité même l’a perdu. Les richesses découvertes sur le territoire d’Utah ont attiré en foule les gentils, dont le voyage est désormais rendu facile par la construction du chemin de fer du Pacifique. Or il n’est

  1. Le Tabernacle insinua qu’il avait trouvé la mort dans une querelle de jeu. Voyez sur cette affaire la Crise du mormonisme dans la Revue du 1er février 1872.