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origines du mormonisme et la prétendue révélation concernant la polygamie. Le résultat de cet examen fut la perte de toutes les illusions qui l’avaient conduite à une sorte de martyre. La certitude que sa religion était fausse mit le comble au malheur de Mme Stenhouse, car son mari devait croire tout ce qu’elle ne croyait plus. Membre de l’église depuis 1845, il n’avait cessé de consacrer ses talens à prêcher et à écrire en faveur du mormonisme, sans préoccupation de ses propres intérêts ni de ceux de sa famille ; il passait pour être dévoué corps et âme à Brigham Young, qui représentait à ses yeux le serviteur de Dieu par excellence. Tels avaient été en effet pendant des années les sentimens de l’ancien Stenhouse ; mais peu à peu les fréquens voyages qui le mettaient en rapport avec les gentils minèrent sourdement la ferveur de sa foi. Ces relations extérieures sont toujours funestes au pouvoir de Brigham Young, qui ne permet pas que ses enseignemens soient discutés le moins du monde. « Aux jours de Joseph Smith, dit-il dans un de ses sermons, la première manifestation de l’apostasie était la pensée que Joseph fût susceptible de se tromper. Quand un homme convient de ce sentiment, c’est un pas vers l’apostasie ; il n’a plus qu’un autre pas à faire pour être retranché de l’église. »

Or Stenhouse en était depuis longtemps à ce premier pas de la discussion intime ; devant les vertus de certains gentils, son jugement se refusait à croire que tous ceux qui n’accepteraient pas comme divine la mission de Joseph Smith dussent être damnés ; sa piété même se révoltait contre le ton des enseignemens du tabernacle qui prétendaient intervenir dans les questions temporelles les moins dignes d’arrêter l’attention d’un apôtre. Les travaux qu’il publiait dans le Télégraphe, journal dont il était directeur, se ressentirent des doutes qui commençaient à le tourmenter et que sa femme, on peut le croire, ne contribua pas médiocrement à développer en lui. Bientôt l’indépendance de ses idées fut qualifiée de rébellion et d’apostasie. À la suite d’un article sur le progrès publié le 2 octobre 1869, il fut rejeté de l’église avec six autres, accusés comme lui de n’être pas assidus à l’école des prophètes. Cette mesure arbitraire acheva de le désabuser ; il déclara que, ne croyant plus à l’infaillibilité du pape mormon, il devait en effet être rayé de la liste des saints. Sa femme demanda naturellement à partager son sort, et le désir qu’elle exprimait fut exaucé d’une façon aussi brutale qu’inattendue : ils furent tous deux arrêtés à quelques jours de là par quatre hommes masqués, en rentrant chez eux par une nuit noire, et fouettés indignement. Si M. Stenhouse eût été seul, il est probable que les agresseurs, qui étaient, à n’en pas douter, des agens de police, l’eussent tué comme le fut naguère le docteur Ro-