Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la plus profonde ignorance. À cela, Méhémet-Pacha ne voyait pas d’inconvénient ; Aïcheh eut, selon le vœu de son père, « les cheveux longs et l’intelligence courte ; » elle se laissa marier sans grande résistance au propre fils de sa belle-mère, Chevket, un homme sans valeur personnelle, pauvre et laid. Un matin, le pacha et sa femme firent appeler la jeune fille et lui annoncèrent qu’ils avaient disposé d’elle. Des esclaves la revêtirent d’habits de cérémonie, puis en présence d’une imposante assemblée de femmes eurent lieu les fiançailles, cérémonie qui consiste en une prière prononcée par l’imam et suivie de la lecture du contrat. Au milieu de cette lecture, les témoins du futur époux viennent demander le consentement de la fiancée ; mais, comme une porte ou un paravent les sépare de celle-ci, ils ne peuvent savoir qui prononce le oui fatal. Ensuite eut lieu le couronnement d’Aïcheh par sa belle-mère et la distribution finale de sorbets et de confitures.

À l’automne de 1857, le mariage fut célébré avec l’étiquette ordinaire ; jamais plus de splendeurs n’avaient été entassées dans cette chambre du trousseau, dont Mme Méhémet-Pacha nous dit : « J’ai vu des femmes oublier trente ou quarante années de misères, oublier même leur mari, je n’en ai jamais vu qui eussent oublié la djeiss-odassi ; » jamais foule plus nombreuse ne s’était pressée autour de l’aski[1], sorte de dais sous les guirlandes duquel la mariée s’offre aux hommages et à la curiosité. La veille, une grande réception avait eu lieu. — Les amies de la fiancée la conduisent au bain, peignent de khenah le bout de ses doigts et de ses pieds, la promènent autour du harem à la lueur des candélabres. Ce soir-là, elle quitte les compagnes de son enfance, de même que le lendemain du mariage elle fait son entrée dans la société des matrones par le banquet des gigots, auquel on attribue des qualités hygiéniques tout exceptionnelles. — Le matin du grand jour, Aïcheh, couverte de diamans jusque sur les souliers, reçut à genoux, avec la bénédiction de son père, la ceinture de diamans, symbole de la dignité de femme. Au moment où elle se releva, une pluie de pièces de monnaie qui portent bonheur tomba sur la tête des spectatrices. Enveloppée d’un voile rose qui cachait absolument son visage, sur lequel on avait fixé d’ailleurs des étoiles et des fleurs de diamans, la jeune épouse attendit au sommet de l’escalier l’arrivée de Chevket, qui se hâta de la conduire à la chambre nuptiale, où il l’installa sous l’aski sans avoir soulevé son voile, car il faut attendre la bénédiction de l’imam. Après le défilé obligatoire et le repas des femmes, la voix de l’imam inter-

  1. Ce trône est, avec le divan brodé d’or, l’unique meuble de la chambre nuptiale le jour du mariage.