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autre groupe de trois chapelles, d’autres pagodes ; l’œil s’y perd, les jambes se lassent, et toujours de nouvelles avenues, de nouveaux portiques, de nouveaux étonnemens !

Le temple de Midéra est sintiste, donc très simple et très vieux, puisqu’il aurait été reconstruit par l’arrière-petit-fils du fondateur, qui vivait en 675. Outre la cloche de tous les jours, on en voit une en bronze de dimension plus grande, — cinq pieds et demi de haut. C’est toute une légende. Elle fut apportée là, après la mort de Bouddha, d’une pagode de l’Inde. Le célèbre Bunkei, une sorte d’Hercule, personnage sui generis de la légende japonaise, la prit un jour sous son bras et alla cacher son larcin sur la montagne d’Heizan, à 3 lieues de là, puis, fou de joie, il se mit à frapper dessus pendant un jour et une nuit, si bien que pas un habitant ne put dormir. Les prêtres, mis sur la piste par le son, allèrent le supplier de leur rendre leur cloche ; il y consentit à la condition de recevoir la ration de soupe qu’il voudrait. Il rapporta donc ce léger bibelot, et reçut en revanche une marmite de soupe que les bonzes nous montrèrent. C’est un chaudron en fer de 1m,50 de diamètre et 1 mètre de profondeur, qui en tout cas porte bien la date qu’on lui assigne. J’ai cité tout au long cette petite histoire pour donner la note de la légende japonaise. Il y en a beaucoup sur le même ton, dans le même cadre ; rien d’élevé, rien d’allégorique. Si quelque lueur brille dans la littérature japonaise, on en retrouve toujours, en cherchant un peu, l’origine chez les Chinois, infiniment moins sociables, moins fins, moins ingénieux, mais décidément plus forts.

En redescendant de Midéra, nous nous mîmes en route pour Kioto, dont nous n’étions qu’à 3 lieues. La grande route, — toujours le Tokaïdo, — est, dans la moitié de sa largeur, dallée d’une ville à l’autre, et sur ces larges dalles de pierre deux ornières parallèles ont été creusées avec le temps par les roues des chars à bœufs. C’est un curieux spectacle à voir que ces lourds animaux, — la race de Kioto est très grande, — attelés en flèche et traînant lentement, sans jamais dévier des deux ornières étroites, des chars sur lesquels sont empilés les produits de la campagne ou ceux de la ville, suivant le sens dans lequel ils vont. Les roues de ces chars sont en bois plein. Que de siècles il a fallu pour que ce bois mou creusât dans le granit un sillon de 7 ou 8 centimètres de profondeur !

Enfin nous entrons dans Kioto. Aucune surprise, aucune déception ; je m’attendais à cette enfilade de maisons basses, de rues régulières et mornes. C’est Yeddo plus propre et plus correct, surtout Yeddo plein de merveilles qui devaient se révéler le lendemain. Installés chez Nakamuraya, le personnage officiel le plus important, nous commençons par une soirée de repos. Le 29 à six heures, en route ;