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cupée d’organiser, de constituer ce régime qu’elle a donné au pays. Malheureusement l’assemblée épuise de temps à autre tout son feu dans une discussion passionnée, puis elle revient à ses divisions, à ses confusions, ajournant souvent les questions les plus sérieuses, ou bien finissant comme aujourd’hui par subir l’obligation de voter en toute hâte un budget et des impôts nécessaires. On semble oublier à Versailles que l’assemblée actuelle n’est point une chambre ordinaire ayant son rôle limité et partiel dans un ensemble d’institutions. C’est au contraire une assemblée souveraine, omnipotente, résumant tous les pouvoirs ; elle représente une époque de crise, une situation certainement irrégulière et exceptionnelle. Lorsqu’elle prolonge cette crise, lorsqu’elle perd son temps en vaines et irritantes récriminations de partis, lorsque, par impuissance ou calcul, elle semble ajourner l’organisation d’un régime régulier, tout reste pour ainsi dire en suspens, c’est le pays qui paie ses divisions, ses querelles, ses lenteurs, les fantaisies de son omnipotence.

Un des spectacles les plus curieux à coup sûr est celui qu’offre en ce moment à Versailles la commission des trente, digne héritière de feue la commission des trente de l’année dernière. S’il ne s’agissait pas des intérêts les plus graves du pays, ce serait presque comique, La commission de cette année semble vouloir perfectionner l’art de perdre son temps. Il y a un mois déjà qu’elle a été nommée pour préparer les lois constitutionnelles, elle a tenu bon nombre de séances, où en est-elle ? Ce qu’il y a de plus clair d’abord, c’est qu’on a voulu retarder le plus possible les lois essentiellement organiques sur le pouvoir exécutif, sur la seconde chambre, celles dont M. le président de la république attendait la stabilité, la sécurité, pour le gouvernement. On a commencé par la loi électorale, et avant tout on s’est dit qu’il fallait nommer des sous-commissions chargées de se livrer à l’étude consciencieuse et attentive de toutes les élucubrations possibles, de toutes les théories imaginables, des œuvres des publicistes, des législations étrangères. Bref, on a ouvert à Versailles une succursale de l’Académie des sciences morales et politiques, sans se douter qu’on suivait l’exemple assez ridicule du conventionnel fameux qui, avant de faire une constitution, envoyait chercher les lois de Minos à la Bibliothèque nationale. Si on n’arrive pas à faire une loi électorale parfaite et à organiser le suffrage universel, ce n’est pas qu’on n’ait à choisir entre les systèmes. Ils se sont tous produits, et tous partent de ce point que la première nécessité est de changer la direction du suffrage universel en l’organisant, en le moralisant ou en le disciplinant. Seulement organisera-t-on le suffrage universel par en haut ou par en bas ? Aura-t-on une représentation des intérêts pour faire contre-poids à la représentation du nombre ? Donnera-t-on un supplément de vote proportionnel au chiffre des contributions ou inhé-