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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre 1873.

Il y a pour les peuples des périodes privilégiées où tout est bonheur, où le succès fait oublier la fuite des choses, où cette dernière heure d’une année qui finit est sans amertume, parce qu’elle n’éveille ni un remords ni un mauvais souvenir, ni le regret du temps qu’on a perdu et qu’on aurait pu mieux employer. Il y a des périodes ingrates, laborieuses, où cette heure suprême qui sépare deux années devient presque poignante, parce qu’elle ne rappelle que des efforts souvent contrariés, des luttes plus bruyantes que profitables, parce qu’enfin, après avoir franchi une étape de plus, on en vient à se demander si on est beaucoup plus avancé que lorsqu’on est parti. Certes ceux qui, en regardant derrière eux, n’ont à compter que des succès dans une vie régulière et facile, ceux-là sont heureux ; ils peuvent se réjouir, ils ont la certitude du présent, l’illusion de l’avenir ; les prospérités de la veille sont pour eux le gage et la promesse des prospérités du lendemain. Notre pays n’est pas de ceux à qui la fortune est si clémente, tout est sérieux pour lui.

La France est occupée depuis trois ans, non à faire le compte de ses succès, mais à relever des ruines, à renouveler ses forces épuisées par les plus terribles épreuves, à se mesurer incessamment avec toutes les difficultés d’une tâche qu’on ne lui adoucit pas toujours. La France, sans désespérer jamais, sans envier personne, reste courageusement à l’œuvre, et à cette heure, où d’autres se réjouissent, elle peut une fois de plus se demander où elle en est de ce travail réparateur si souvent troublé et toujours nécessaire, quels gages de sécurité on lui a donnés, comment elle aborde cette année nouvelle qui va être la quatrième depuis la paix qui a été l’inexorable dénoûment de ses désastres. Assurément ceux qui la représentent et qui la gouvernent ont une manière à eux de lui souhaiter la « bonne année. » Ils votent en courant des impôts nouveaux, ils promettent des fêtes à Paris. Des législateurs qui ont