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ment dite des pays slaves qu’elle a conquis. Sur la rive droite, les conséquences de la conquête durent encore. Il y a là d’immenses domaines seigneuriaux ; la petite propriété y est rare, et le code civil prussien l’empêche de se développer. Tandis que dans le vieux droit germanique l’immeuble est une propriété de la famille, qu’administre son chef ou bien un mandataire élu par elle, le droit prussien, s’inspirant du droit romain, donne à l’immeuble à la fois le caractère d’une propriété collective et celui d’une propriété personnelle. Quand la succession est ouverte, un seul héritier reçoit le bien-fonds, mais il dédommage les autres en argent. Or la part des cohéritiers est considérable : s’il y a plus de quatre enfans, elle s’élève aux deux tiers de la valeur totale de l’immeuble. Dès l’entrée en possession, il faut donc recourir au crédit. Le grand propriétaire trouve à emprunter ; mais que fera le petit cultivateur ? « Son bien, dit encore l’auteur des Vorschlœge, lui arrive souvent endetté par son père de la moitié de sa valeur. Il cherche à joindre les deux bouts, mais une échéance vient après l’autre, les revenus ne suffisent pas à payer les dettes ; il vend et part pour l’Amérique. » La vente de quelques lots, qui tirerait le cultivateur d’embarras et peu à peu amènerait le morcellement des grandes propriétés, est impossible, car il ne se trouve peut-être pas un seul bien dans tout l’est qui ne soit grevé d’hypothèques dont chacune pèse sur l’ensemble du domaine. Si l’hypothèque ne grevait qu’une partie, correspondant à la valeur de l’argent prêté, l’endettement à outrance ne saurait exister, tandis qu’il est le fruit du régime actuel : « les inscriptions s’accumulent ; la mobilité des titres les fait passer de main en main, et le propriétaire ne sait plus s’il lui reste quelque chose de son bien, ou s’il n’est point l’administrateur du bien d’autrui. » Il ne peut vendre une parcelle sans l’agrément de tous les créanciers hypothécaires, sans un long travail juridique d’arpentage et d’estimation. S’il succombe à la fin, le domaine est vendu tout entier par autorité de justice. Les ventes de cette sorte sont très fréquentes. Du 1er mai 1867 au 30 avril 1860, il y en a eu 14 442 en Prusse, et la part des provinces de l’est dans ce total est très considérable.

Ainsi dans les provinces orientales « il est d’une part impossible au petit propriétaire de garder son bien et à l’artisan d’acheter une motte de terre ; d’autre part les grands biens sont surchargés de dettes… En haut, les ventes par autorité de justice ; en bas, l’émigration, qui croît sans cesse, » telles sont les conséquences de ce déplorable état de choses. La conquête a laissé d’autres traces dans ce pays. À proprement parler, la vie communale n’y existe pas, car l’administration des communes appartient à la seigneurie d’où elles relèvent. La propriété d’un domaine seigneurial confère le patronage sur une ou plusieurs communes, et le propriétaire, que