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prétendre réparer l’irréparable quand il n’est plus temps, livrer la paix de l’Europe, le droit public, les intérêts les plus évidens de la France aux jeux de l’ambition et de la force sans s’assurer les plus simples garanties, être tout à la fois complice et dupe de combinaisons qu’on a favorisées la veille et contre lesquelles on se trouve désarmé le lendemain, ne rien prévoir et se réveiller brusquement devant une puissance ennemie, tout au moins redoutable, qu’on a presque créée de ses propres mains en lui donnant des alliances et la liberté de tout oser : il faut bien préciser ces faits pour montrer ce qu’ils préparent.

Lorsque M. de Bismarck, au courant de la dernière guerre, parlait avec une hauteur sardonique des inexplicables ressentimens de la France contre Sadowa, qui n’était pas son affaire, qui ne la regardait pas, il disait ce qu’il voulait ; il feignait d’oublier que, si l’opinion française avait été si violemment émue de la grande bataille de Bohême, ce n’était point par une jalousie vulgaire des succès de la Prusse, c’était parce que Sadowa avait été la révélation foudroyante d’une situation où tous les rapports de puissance se trouvaient subitement et absolument transformés, où la France avait l’instinct qu’elle venait d’essuyer un désastre sans avoir été au combat, par une défaillance de politique. Ce sentiment, il se produisait sous toutes les formes, partout, au dehors aussi bien qu’en France. Une personne royale qui s’intéressait à la fortune napoléonienne, la reine de Hollande, écrivait dès le 18 juillet : « Vous vous faites d’étranges illusions ! Votre prestige a plus diminué dans la dernière quinzaine qu’il n’a diminué pendant toute la durée du règne. Vous permettez de détruire les faibles, vous laissez grandir outre mesure l’insolence et la brutalité de votre plus proche voisin… C’est plus qu’un crime, c’est une faute[1]… » Un des conseillers les plus éclairés de l’empire, qui est, encore aujourd’hui ministre des finances, M. Magne, précisait le sens vrai de ces événemens tout chauds encore dans une lettre confidentielle à l’empereur, le 20 juillet : « Tout le monde se dit que la grandeur est une chose relative, et qu’un pays peut être diminué tout en restant le même, lorsque de nouvelles forces s’accumulent autour de lui[2]… » Quelle était en effet cette situation qui se dessinait dès lors, qui allait s’aggraver d’heure en heure pendant quatre ans, pour finir par se résoudre dans un nouveau et sanglant duel entre la Prusse et la France ?

Cette situation, elle était écrite en traits palpables, précis comme des chiffres, dans les résultats les plus immédiats de la guerre. La

  1. Papiers et Correspondances de la famille impériale.
  2. Idem.