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fiances qu’elle ravivait ou qu’elle déchaînait, par les conditions nouvelles d’antagonisme politique et militaire où elle plaçait la France et l’Allemagne. Tout s’enchaîne ici, tout concourt à former le redoutable nœud qui ne sera plus désormais tranché que par l’épée.


I.

Les événemens gardent leur moralité même quand l’audace a réussi. Que la guerre de 1866 ait été l’œuvre calculée et violente d’une volonté unique résolue à ne reculer devant rien, à procéder « par le fer et le feu » dans l’intérêt des ambitions prussiennes, ce n’est même plus une question, tant les aveux de M. de Bismarck, récemment divulgués, sont d’une précision et d’une crudité presque naïves. C’était le rôle de M. de Bismarck de faire la guerre du Slesvig pour engager la terrible partie qu’il méditait, pour se créer une occasion de dispute et de rupture avec l’Autriche. C’était le rôle de l’entreprenant ministre prussien de faire sortir de la guerre de Danemark la guerre avec l’Autriche elle-même à la faveur de ce qu’il appelait un « sens-dessus-dessous » produit par une proposition de « réforme germanique assaisonnée d’un parlement allemand, » et c’était aussi l’affaire de sa diplomatie d’étourdir l’Europe de ses combinaisons, de chercher à se ménager l’alliance de l’Italie, l’appui ou la neutralité de la France[1]. Ce qui est un peu plus étonnant, c’est qu’il se soit trouvé à la même heure en France un gouvernement assez visionnaire ou assez coupable pour se prêter à une politique qui, de toute façon, quelle qu’en fût l’issue, ne pouvait

  1. . M. de Bismarck expliquait au général Govone comment la guerre de Danemark avait été une suprême expérience tentée pour voir si on ne pourrait pas nouer une véritable alliance austro-prussienne, comment cette expérience « avait complétement manqué ou plutôt avait réussi, » selon les prévisions du ministre prussien, puisqu’elle avait guéri le roi Guillaume de son goût pour l’alliance autrichienne. — « Le comte de Bismarck, ajoutait le diplomate italien en racontant ces confidences, le comte de Bismarck a formulé alors ses vues de la manière suivante : dans peu de temps, trois ou quatre mois, remettre sur le tapis la question de la réforme germanique assaisonnée d’un parlement allemand. Avec cette proposition et avec le parlement, produire un sens-dessus-dessous qui ne tardera pas à mettre la Prusse face à face avec l’Autriche. La Prusse était décidée à faire alors la guerre, guerre à laquelle l’Europe ne pouvait s’opposer, puisqu’il s’agissait d’une question grande et nationale… » Dans l’exécution de ce plan, M. de Bismarck prétendait avoir besoin du traité avec l’Italie pour maintenir le roi. « Telle fut substantiellement, ajoute l’envoyé italien, la signification dans sa crudité du discours du comte de Bismarck. » Dépêche du général Govone, 14 mars 1866. — Voyez le livre du général La Marmora, Un peu plus de lumière sur les événemens politiques et militaires de l’année 1866.