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jet trop spécial ; nous la signalons pourtant à ceux qui étudient les directions diverses du protestantisme au xixe siècle. Nous y trouverions encore, s’il nous était loisible de nous y arrêter, bien des traits curieux qui achèvent de peindre la physionomie du souverain piétiste. En 1854 par exemple, à l’époque où le pape se préparait à proclamer le dogme de l’immaculée conception, Frédéric-Guillaume IV n’eut-il pas l’idée d’apparaître au monde chrétien comme une sorte de pape évangélique ? Il voulait provoquer des manifestations doctrinales de la part de toutes les églises protestantes. Tout cela d’ailleurs se liait dans son esprit à des projets d’organisation ecclésiastique qui eussent assuré une certaine unité aux églises protestantes sans porter atteinte à leur liberté. Il rêvait une constitution analogue à celle des temps apostoliques, des communautés, des assemblées, des églises à la fois distinctes et unies, quelque chose comme une république chrétienne fédérative. L’occasion du dogme nouveau lui parut bonne pour provoquer un mouvement d’ensemble qui aurait profité à ses plans. Il écrivit donc à M. de Bunsen, le priant d’être son ambassadeur, non pas auprès du cabinet de Saint-James, mais auprès de l’église anglicane. N’avait-il pas des amis parmi les hauts dignitaires ? Ne pouvait-il concerter un grand acte avec l’archevêque de Cantorbéry, primat de toute l’Angleterre et métropolitain ? Bunsen ne croit pas que cette tentative ait la moindre chance de succès, il l’écarte et propose simplement de provoquer une guerre de brochures, un assaut général à coups de pamphlets. Y pensez-vous ? répond le roi. « Votre guerre de brochures ne serait pas même une guerre évangélique, ce serait une guerre germanique. La guerre évangélique, je veux dire celle dont le monde évangélique tout entier serait le centre, serait déjà une chose bien mauvaise ; la guerre germanique serait absolument intolérable. Commençât-elle avec dignité, la grossièreté allemande, la lourdeur allemande, l’impiété allemande, la fausse science allemande, et le piétisme allemand, et le romanisme allemand, et le rationalisme allemand, et l’irwingerie, et la baptisterie[1], auront en quelques mois si bien défiguré la cause sainte de fond en comble, que Rome en rugira de joie[2]. » Voilà certains caractères de l’esprit allemand assez vivement retracés par le roi de Prusse. Ces indications suffisent sans que nous insistions davantage.

Trois ans plus tard, nous retrouvons chez Frédéric-Guillaume IV les mêmes velléités d’une espèce de pontificat évangélique. M. de Bunsen, qui, depuis son départ de Londres, s’était installé dans une

  1. Allusions à des sectes protestantes.
  2. Je traduis littéralement : « dass Rom von Wonne brüllcn wird. »