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prise lorsqu’au lieu de la réponse de l’Angleterre attendue par moi avec une si vive impatience je reçus, au nom de l’Angleterre et de la France réunies, une invitation à me joindre à elles deux pour maintenir ou imposer la paix par mon attitude. Il paraît que ce qui est bon pour l’une est bon pour l’autre. Quant à moi, je reste neutre, et de la façon que j’ai indiquée par ma lettre à l’empereur de Russie : ma neutralité ne sera ni indécise ni vacillante (réponse aux expressions dont il s’est servi), elle sera souveraine. Sachez maintenant, très cher Bunsen, que je maintiendrai souverainement ma neutralité, et que, si quelqu’un veut me battre pour cela, je le battrai. La position de la Prusse est trop avantageuse, elle lui met trop évidemment dans les mains la possibilité de la décision suprême pour que je me refuse à le voir et à me conduire en conséquence. — Je sais bien que l’Angleterre peut détruire cette politique si elle veut me contraindre, mais j’ai la ferme espérance que l’Angleterre évangélique ne voudra pas affaiblir la Prusse évangélique. En d’autres termes (en des termes que je sens bien vivement), je compte que l’Angleterre ne se rendra coupable à mon égard d’aucune folie ni d’aucune infamie. J’y compte en me fiant non pas à une chance heureuse, — ce serait folie, — mais à la bénédiction de Dieu, — ce qui est précisément le contraire de l’infamie. En me refusant à ce qu’on me demande du côté de l’ouest comme du côté de l’est, je me sens droit, ferme, délivré de toute inquiétude, et ce sentiment me vient de ma fidélité à ma parole, de ma fidélité à mes alliances. Ne vous faites pas d’illusions, et dites aux hommes d’état anglais, soit en confidence, soit en public, que je ne laisserai pas attaquer l’Autriche par la révolution (moi qui connais sa puissance incendiaire) sans tirer l’épée pour la secourir, et cela tout simplement par amour de la Prusse, par sentiment de mon devoir envers la Prusse, par instinct de conservation personnelle. Je n’ai pas étudié en vain la période de 1792 à 1796, l’année 1805 et ses conséquences, anno 1806. Enfin prenez bien note de ceci : c’est la quintessence de ma situation actuelle vis-à-vis de l’Angleterre. Je demande pour prix de ma neutralité sincère et autonome, pour prix du service que je rends de la sorte à l’Angleterre dans cette funeste rupture avec la Russie et les traditions chrétiennes, je demande la garantie des possessions territoriales européennes, l’inviolabilité du territoire de la confédération germanique dans sa totalité, enfin la promesse sacrée de me restituer sans condition mon fidèle Neufchatel après la paix, dans la paix, au moyen de la paix.

« Si je suis attaqué pendant l’inceste de l’Angleterre et de la France ou par suite de cet inceste, si les deux puissances incestueuses, prenant la révolution pour alliée, la déchaînent par le monde, alors je fais alliance avec la Russie, alliance à la vie et à la mort. Je connais ma tâche et mon devoir. »