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tait la revanche de 1850, la revanche de Cassel et d’Olmütz, poursuivie obstinément au milieu des complications sans nombre de la question d’Orient. Il est à peine nécessaire de dire que ni lord Aberdeen, ni lord Clarendon, ne prêtèrent l’oreille à ce langage. « Il ne s’agit pas de l’unité allemande, disaient-ils ; l’antagonisme de la Prusse et de l’Autriche est ici hors de cause. La question qui occupe l’Europe devrait réunir ces deux puissances dans une action commune. Quant à la France, vos craintes sont de pures chimères. Le gouvernement de l’empereur Napoléon a montré dans les affaires d’Orient la plus grande loyauté, le plus sérieux dévoûmeni aux intérêts européens. Il n’y a aucune raison de croire qu’il veuille reprendre un jour l’ancienne politique napoléonienne et troubler le repos de l’Europe. » Si lord Aberdeen et lord Clarendon parlaient ainsi, on devine ce qu’aurait dit lord Palmerston, défenseur si résolu de la politique française ; le comte Pourtalès ne chercha même pas à l’entretenir de l’objet de sa mission. Il se consola auprès du prince Albert, qui, dévoué de cœur à la cause de l’unité allemande par la Prusse, avait accueilli avec joie les confidences du comte Pourtalès. Malheureusement pour l’envoyé prussien c’était le moment où la question du prince Albert excitait chez les whigs une irritation si violente ; le mari de la reine était obligé plus que jamais à une entière réserve dans toutes les affaires politiques.

La mission toute germanique du comte Pourtalès, introduite brusquement au milieu de ces grands intérêts européens, était déjà un incident bien extraordinaire ; voici une chose plus étrange encore. Tandis que le comte Pourtalès entretient lord Clarendon de ses projets d’unité allemande, condition expresse de la coopération de la Prusse dans les affaires d’Orient, Frédéric-Guillaume IV y met une autre condition bien plus inattendue. M. de Bunsen nous dit en son journal que lord Clarendon ne put dissimuler sa surprise lorsque le comte Pourtalès lui parla du prix auquel le gouvernement prussien estimait son alliance ; quel eût été son étonnement s’il avait pu lire la lettre suivante, adressée par le roi de Prusse à son ambassadeur ! La nouvelle condition exigée par Frédéric-Guillaume IV, c’est que l’Angleterre et les puissances alliées s’engagent à lui faire restituer sa fidèle principauté de Neufchatel. On a vu par la première de ces études quelle était sur ce sujet la manie du roi de Prusse, manie affectueuse et opiniâtre devenue pour lui un point d’honneur[1]. Personne pourtant ne se serait attendu à voir cette manie reparaître au milieu des perplexités que lui cause la question d’Orient. Une autre manie obstinée, incurable, mais qui ne

  1. Voyez la Revue du ler août 1873, les Affaires de Suisse et la principauté de Neufchatel.