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après ces voyages d’Olmütz, de Varsovie, de Berlin, qu’eut lieu entre le tsar Nicolas et la reine Victoria un échange de lettres si vives, si personnelles, on peut dire si amères au fond malgré la courtoisie et la dignité des formes.

Bien que ces lettres aient fait grand bruit alors, le texte en est peu connu. On nous saura gré sans doute d’en reproduire ici les fragmens, tels qu’ils sont publiés dans les mémoires de Bunsen. « Le 8 novembre, dit Bunsen, un courrier de cabinet, qui avait quitté Pétersbourg le 1er, remit à la reine Victoria une lettre autographe de l’empereur de Russie. L’arrivée de cette lettre était fort inattendue ; le contenu l’était bien plus encore. La lettre couvre près de quatre grandes pages. Le tsar commence par exprimer sa confiance absolue dans la générosité et les sentimens amicaux de la reine ; c’est à ces sentimens qu’il fait appel à l’heure où de périlleuses complications se produisent et où s’annoncent des événemens graves. Une confiance réciproque peut seule empêcher un mal plus grand et préserver les deux pays des calamités de la guerre. Après ce début, le tsar passe à l’entretien qu’il a eu au mois de février 1853 avec sir Hamilton Seymour au sujet des affaires de Turquie et de sa politique vis-à-vis de la Porte ; il parle des assurances qu’il a données et de celles qu’il a reçues. » Jusqu’ici, M. de Bunsen ne fait que résumer la lettre du tsar ; dans les extraits qui suivent et qui se rapportent au point décisif, il ne prétend pas reproduire littéralement les expressions mêmes, « mais certainement, dit-il, les mots essentiels y sont, et c’est bien là le fond des choses. »

« Que votre majesté veuille bien se faire lire les pièces tant officielles que confidentielles échangées dans le temps entre nos deux ministères, elle pourra se convaincre que, pour ma part, je pris alors un engagement solennel et que j’obtins, de la part du gouvernement de votre majesté, des assurances que l’Angleterre était satisfaite de mes explications… Il résulte de ces faits que ma parole impériale est engagée, et que le gouvernement de votre majesté a pris l’engagement formel d’observer envers moi une politique d’amitié et de confiance comme dans le passé… Rien n’est arrivé depuis qui ne soit conforme de ma part à cet engagement… Je fais donc votre majesté l’arbitre entre moi et son gouvernement. »

Une pareille lettre, dit M. de Bunsen, devait nécessairement causer une vive émotion à la reine. Pouvait-elle s’attendre à ce que lord Aberdeen fût accusé d’avoir méconnu les intentions du tsar et manqué audacieusement à sa parole ? Le 14 novembre, elle envoya sa réponse, conçue en ces termes :