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bury, chargé du département des affaires étrangères dans le ministère du comte Derby, tenait exactement le même langage.

Il est impossible que M. de Bunsen ne l’ait pas su. Des symptômes de toute sorte indiquaient les dispositions du gouvernement anglais. Précisément à la date où nous sommes, tandis que M. de Bunsen s’eiïorçait de faire accepter à lord Derby les mesures imaginées par le roi de Prusse, on préparait à Londres une grande cérémonie nationale qui pouvait aisément prendre un caractère hostile à la France. Le vieux duc de fer, comme l’appelaient les Anglais, Wellington, était mort en son château de Walmer, près Douvres, le 14 septembre 1852, âgé de quatre-vingt-trois ans et quatre mois. Il avait été décidé, par l’initiative de la reine et le vote du parlement, qu’il lui serait fait des funérailles publiques. La cérémonie eut lieu le 18 novembre. Le corps de celui qui avait été l’adversaire de Napoléon fut déposé solennellement dans les caveaux de l’église Saint-Paul, au milieu d’un concours immense de population. Plus d’un million d’hommes étaient venus de tous les points de l’Angleterre assister à ce grand deuil. Au sein d’une telle foule et dans les dispositions où se trouvait encore une partie du public, la moindre imprudence aurait pu provoquer des manifestations passionnées. Il eût suffi d’un souffle pour remuer ces vagues. Le gouvernement mit le plus grand soin à prévenir le péril. Il évita aussi de froisser les sentimens français. Tous les signes, toutes les devises qui rappelaient avec injure des souvenirs douloureux furent sévèrement interdits.

M. de Bunsen savait tout cela, il avait dû le faire savoir au roi son maître ; comment donc se fait-il que le 7 décembre Frédéric-Guillaume revienne encore à la charge pour une quadruple alliance ? Ce ne serait plus l’alliance des quatre grandes puissances, Angleterre, Russie, Prusse, Autriche, puisqu’il y a des hésitations ici et là ; ce serait l’alliance de deux grandes puissances et de deux petites, l’Angleterre et la Russie s’uniraient à la Hollande et à la Belgique. À défaut d’une alliance, qu’on lui accorde au moins une convention militaire. Surtout point d’indiscrétion. Une fois la chose conclue, il sera si heureux d’en faire la surprise aux deux empereurs ! On voit ici quelle est l’agitation de Frédéric-Guillaume chaque fois qu’il est question de la France. Plus la réalité lui échappe, plus son imagination est en feu :

« 7 décembre 1854.

« Cette entente peut seule écarter les flammes de la guerre ; si elle manque, le fléau éclatera longtemps avant que les rosiers fleurissent. Sans rien négliger pour prévenir l’incendie, il faut dès aujourd’hui redoubler d’activité, il faut tout faire pour être prêt, Prusse et Angleterre.