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tions, dont il ne se démettra que plus tard, après un nouvel échec de ses idées, après un nouvel effacement de la Prusse, au mois d’avril 1854. Pendant ces trois dernières années de son activité diplomatique et de sa correspondance personnelle avec Frédéric-Guillaume IV, deux événemens principaux occupent l’Europe : d’abord l’avénement de Napoléon III à l’empire, ensuite la guerre de Crimée. Allons jusqu’au bout des documens que nous fournit M. Léopold de Ranke, et continuons d’y joindre les nôtres, non pas certes pour entreprendre un nouveau récit des faits, sur lesquels tout a été dit, mais pour achever de peindre ces deux âmes, ces deux consciences, le roi Frédéric-Guillaume IV et le baron de Bunsen.

I.

La nouvelle du coup d’état exécuté à Paris le 2 décembre 1851 par le président de la république française ne produisit pas la même impression dans toutes les contrées de l’Europe. En Russie, en Prusse, en Autriche, les gouvernemens y voyaient une revanche des catastrophes de 1848. De la France était venue la secousse qui avait ébranlé tous les trônes ; on se félicitait de ce coup de force qui, rétablissant en France un principe d’autorité, raffermissait tous les pouvoirs d’un bout de l’Europe à l’autre. Personne n’ignorait que cette autorité avait ses allures propres, qu’elle représentait tout autre chose que l’ordre légitime, que, si la révolution recevait là une rude atteinte, elle la recevait d’une main révolutionnaire. N’importe ; l’impression dominante était une impression de soulagement. Quel que fût l’homme qui remportait cette victoire, la révolution était vaincue. En Autriche même, les réserves que nous venons d’indiquer étaient fort indifférentes au principal personnage politique ; le prince Schwarzenberg tenait beaucoup plus à l’autorité elle-même qu’aux anciennes conditions de l’autorité. Il ne craignait pas de donner satisfaction à certaines exigences de l’esprit moderne, pourvu que le pouvoir devînt toujours plus fort à mesure que s’accroissaient les libertés publiques. Sans appartenir complétement à l’école napoléonienne, il s’y rattachait sur bien des points. Persuadé que la crise sociale de nos jours devait tôt ou tard transformer le monde de fond en comble, il voulait prendre hardiment l’offensive et organiser l’Europe d’après un plan à lui, au lieu d’attendre que ces changemens s’accomplissent suivant les hasards des révolutions. Le prince Louis-Napoléon, après le 2 décembre 1851, réalisait une partie de son idéal politique. Il le voyait déjà empereur des Français, il l’admirait comme un dompteur de peuples dans l’intérêt des peuples, et d’avance il saluait en lui un auxiliaire envoyé par la Providence. Dans ses rêves audacieux, il avait conçu l’idée d’une