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mauvais vouloir du cabinet de Berlin. Sans souci de l’amitié que lui gardait Frédéric-Guillaume IV, les hommes du parti de la croix le considéraient comme un révolutionnaire. Les chefs de ce parti, M. de Gerlach, M. Stahl, M. de Rochow, pour ne citer que les plus célèbres, exprimaient ouvertement leur désir de voir les hautes fonctions diplomatiques confiées désormais à des partisans de la sainte-alliance. Il fallait dans ces postes si importans des hommes qui fussent d’accord avec les principes généraux de l’empereur Nicolas. On allait jusqu’à sommer le ministre des affaires étrangères de remplacer sans retard M. de Bunsen. Ces ardeurs du parti absolutiste ayant échoué contre la circonspection de M. de Manteuffel, on eut recours aux plus singuliers moyens. Le bruit courut un jour à Berlin (mars 1851) que le ministre de Prusse à Londres avait été insulté dans la rue par des réfugiés politiques pour avoir fêté à l’hôtel de l’ambassade l’anniversaire du 18 mars 1848. On sait que le 18 mars 1848, date odieuse aux amis de l’ordre parce qu’elle les reporte à une émeute qui avait failli renverser le trône, est en même temps une date maudite des révolutionnaires parce que l’insurrection qu’elle rappelle, victorieuse d’abord, avait fini par échouer. Entre ces points de vue si opposés, il y en a un autre qui tient le milieu : le soulèvement du 18 mars, aux yeux de certains libéraux, avait réussi dans la juste mesure, puisque, sans renverser le trône, il avait fait tomber un ministère absolutiste et obligé le roi à capituler. Le bruit répandu à Berlin était donc imaginé de la manière la plus perfide, car il autorisait cette double question : M. de Bunsen, en célébrant l’anniversaire du 18 mars, avait-il fêté la demi-victoire de l’émeute ou la défaite de l’insurrection révolutionnaire ? On insinuait par là que c’était l’un et l’autre, et que, si les réfugiés avaient à se plaindre de M. de Bunsen, la cour de Berlin avait aussi les plus graves reproches à lui faire. En tout cas, un ministre de Prusse qui s’était exposé à être insulté dans les rues de Londres ne pouvait plus rester à son poste. Voilà ce que lui mande un de ses amis de Berlin en lui signalant et la rumeur publique et les conclusions qu’on en tire. La personne très alarmée qui lui transmet ces étranges propos est impatiente de savoir ce qu’ils peuvent contenir de vrai. M. de Bunsen répond que tout cela est absolument imaginé ; il ne saurait même indiquer la moindre circonstance, le plus petit fait qui, grossi et falsifié, ait pu fournir un prétexte à cette histoire. Il n’a pas donné de fête le 18 mars, il ne connaît point de réfugiés politiques, soit d’Allemagne, soit des autres parties du continent, il n’en a jamais vu un seul ni chez lui, ni dans la rue, ni dans aucun endroit de Londres. Ce récit n’est qu’une invention ridicule, et qui donc avait eu intérêt à inventer de telles choses ? Sans accuser ses adversaires politiques de Berlin, M. de Bunsen démêle bientôt les