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normes quantités de céréales peuvent être versées sur le continent. Les États-Unis ont des réserves immenses. La grande difficulté, c’est le transport de l’intérieur à New-York. Quand le prix du blé est au-dessous de 25 francs sur les places de l’Occident, l’exportation de l’Amérique ne cesse pas entièrement, mais elle ne se fait qu’en proportion restreinte. À chaque franc de hausse au-dessus de ce chiffre correspond une nouvelle couche de blé, qui, pouvant supporter les frais de transport à grande distance, vient combler les vides du marché occidental. À 30 francs, le monde entier, pour ainsi dire, nous enverrait ses réserves et comblerait tous nos déficits, si grands qu’ils fussent[1].

Il ne faut pas perdre de vue qu’avec un commerce de farine et de blé tel que celui qui se fait en France, les réserves du commerce et de l’agriculture sont considérables. La meilleure preuve qu’on puisse invoquer à cet égard, c’est la faiblesse de nos exportations à la suite de la récolte si abondante de 1872. En admettant que, par la réduction de notre population à 36 millions d’habitans, notre consommation intérieure a été ramenée à 90 millions d’hectolitres, la récolte précédente nous aurait laissé un excédant de 10 millions d’hectolitres, c’est-à-dire de quoi nous alimenter pendant près de six semaines. Fallût-il en importer deux fois autant pour nous tirer d’embarras, le commerce serait assurément en mesure de le faire.

Enfin il faut tenir compte d’une certaine élasticité qui s’observe dans la consommation du blé. Toutes les classes de la population font des économies forcées de pain quand le prix s’en élève, mais surtout cette admirable population rurale, qui a toutes les vertus et souvent, hélas ! toutes les misères de ce monde, qui est à la fois si laborieuse et si frugale. Pour prospérer et se mettre en état de pourvoir aux besoins croissans de la consommation, il faut que l’agriculture fasse des épargnes et qu’elle produise plus qu’elle ne consomme. Quand le blé enchérit, le cultivateur, sa famille et ses aides en consomment moins pour en porter davantage au marché. Le seigle et l’orge entrent alors en plus grande proportion dans l’alimentation de la population agricole : l’habitant du midi, qui consacrait beaucoup de maïs à l’engraissement de son bétail, le réserve plus exclusivement à sa nourriture ; le Breton vit plus spécialement de galettes de sarrasin, et le Limousin de châtaignes. La pomme de terre, ce pain du pauvre, joue aussi, en temps de cherté, un plus grand rôle dans l’alimentation du campagnard. Ce changement de régime n’est pas sans inconvénient. Avec une nourriture moins substantielle, l’ouvrier de l’agriculture ne peut produire la même somme

  1. Le prix de l’hectolitre de blé est depuis trois mois, sans variation, de 21 à 22 fr. à New-York. C’est le meilleur indice que les exportations des États-Unis suffisent à combler les déficits prévus chez les peuples importateurs de la région occidentale.