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du commerce, si l’entrée restait aussi facile et aussi libre que la sortie sur tous ces points, nos marchés intérieurs du centre, qui souffrent encore des variations de prix qu’entraînent les alternatives de l’abondance et de la disette, verraient leur position devenir meilleure en se fondant de plus en plus dans le marché national ou plutôt dans le grand marché du monde. Notre approvisionnement serait ainsi assuré malgré toutes les disettes, et nous éviterions du même coup la pléthore qui ruine l’agriculture sans profit pour la consommation, et la cherté qui pèse si durement sur la consommation sans enrichir l’agriculture. Le moindre progrès qui s’opère dans ce sens est une garantie nouvelle contre le retour des crises.

Pour que le commerce ait pu produire ces merveilles, niveler ainsi nos prix, assurer avec régularité notre approvisionnement dans les années de disette et supprimer peu à peu jusqu’aux crises de pléthore, il a fallu que les obstacles naturels de la distance et de la différence d’altitude fussent graduellement affaiblis par des voies perfectionnées de communication. En venant compléter notre réseau de rivières navigables, de canaux et de routes de terre, les chemins de fer nous ont rendu d’immenses services. Il a fallu aussi débarrasser le commerce d’entraves en remplaçant l’ancien système de l’échelle mobile par un régime plus libéral.

Tout a été dit depuis longtemps sur l’échelle mobile, notamment par MM. Léonce de Lavergne et Michel Chevalier, dont le talent et l’autorité ont préparé ici la suppression de ce système[1]. C’est un sujet que je ne veux pas reprendre en détail ; je me bornerai à un seul point qui donnera l’explication de quelques faits contemporains. Quand ce système a été établi, il n’avait pas, à beaucoup près, les inconvéniens qui se sont révélés plus tard. C’était une conception fausse, mais assez inoffensive pour le temps où elle a pris naissance. Notre commerce extérieur de céréales n’avait alors qu’une importance minime, et il y avait entre Marseille, où l’importation avait lieu, et les ports du littoral de la Manche, où se faisait l’exportation, une différence de prix assez considérable pour que le mécanisme compliqué de la loi n’empêchât pas absolument, tout en ayant l’air de fonctionner d’une façon utile, de faire entrer un peu de blé d’un côté, d’en faire sortir un peu de l’autre. On avait longtemps combiné, on avait remanié à plus d’une reprise l’échelle des tarifs, le nombre et la circonscription des zones, le choix des marchés régulateurs, et l’on s’était complu dans l’idée que la prospérité de l’agriculture était désormais liée au sort de cette œuvre ingénieuse, qui devait être son pal-

  1. Voyez l’article de M. de Lavergne sur la Liberté commerciale, dans la Revue du 1er mai 1856, et dans la Revue du 1er mai 1859 l’étude de M. Michel Chevalier sur l’Échelle mobile et le commerce des céréales.