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mettre le condamné à la clémence des pouvoirs publics, qui viennent en effet de répondre à cet appel en commuant la peine. Voilà la vérité. Oui, certainement, tout a été extraordinaire dans ce temps, où les capitulations, les désastres se sont succédé non pas seulement à Metz, mais presque partout, où le crime le plus réel des hommes a été non de trahir, les trahisons sont, Dieu merci, toujours rares, mais d’être au-dessous de leur rôle, au-dessous des circonstances par la capacité, par le caractère, par une certaine manière de comprendre le devoir, Bazaine, entre tous, expie ce crime par la plus effroyable chute, et il faudrait plaindre ceux qui ne verraient là qu’une confirmation de leurs présomptueux jugemens ou qui resteraient insensibles devant cette destinée d’un soldat qui, après avoir passé quarante-trois ans sous le drapeau, après avoir conquis ses grades au prix de son sang, après avoir été souvent heureux, toujours intrépide au feu, vient échouer sur cet écueil sinistre. Sans doute il a été coupable, d’autant plus coupable qu’il était placé plus haut, qu’on avait mis en lui plus de confiance, que cette reddition d’une vaillante armée, cette capitulation de notre première ville de guerre, pouvaient et devaient avoir une influence plus décisive sur la défense nationale, et ce n’était point, à dire vrai, la plus heureuse manière de relever sa cause que de le mettre sous la protection des certificats du prince Frédéric-Charles. Après tout, si Bazaine a failli, il n’est point le seul qui ait contribué à nos désastres, préparés par d’autres, et seul il résume toutes les expiations ! On a dit que ce châtiment était une satisfaction pour cette malheureuse armée du Rhin, pour la population de Metz, et que c’était aussi un exemple de justice dû à ces 150,000 jeunes gens qui vont entrer dans notre armée nouvelle, qui se sentiront fortifiés par cette éclatante sanction de l’idée du devoir militaire. Soit, rien ne manque, ni la satisfaction vengeresse ni l’exemple de justice. Maintenant, qu’on le sache bien, tous, chefs et soldats, se doivent à eux-mêmes de profiter des enseignemens, et ils sont nombreux, de cette triste affaire ; devant cette grande chute, ils contractent plus que jamais l’engagement de se mettre à la hauteur de toutes les circonstances, non pas seulement par ce courage que notre race a toujours au feu, mais par l’étude, par l’instruction, par la précision du service, par un sentiment du devoir proportionné aux malheurs du pays et à la mission qui doit rester désormais l’unique et généreuse préoccupation d’une armée française.

Que l’Europe suive avec une attention sympathique ou curieuse ces drames de notre vie militaire et politique, on n’en peut douter. Elle n’a point aujourd’hui, quant à elle, de ces cruelles diversions, de ces émotions qui survivent aux grandes catastrophes. Ceux qui ont été heureux à la guerre comblent leurs généraux de récompenses, ils ne les