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hir le pont du vaisseau anglais. Ils sont repoussés par la mousqueterie ; 30 hommes de l’Albion, commandés par un lieutenant et deux midshipmen, se jettent à leur tour à bord des Osmanlis. Pendant que ce premier détachement sabre les marins fuyant sur le pont, les refoule dans la batterie ou les oblige à se jeter à la mer, l’incendie éclate sur la frégate turque encore enchevêtrée avec le vaisseau anglais. En moins de cinq minutes, le feu a gagné la soute aux poudres. L’Albion venait heureusement de se dégager ; la frégate ottomane descend seule dans l’abîme.

Des trois vaisseaux anglais, le Genoa fut celui qui essuya les pertes les plus sérieuses. Son commandant, le capitaine Bathurst, reçut dès le début du combat trois blessures ; la dernière était mortelle. On le porta au poste des blessés, les entrailles déchirées par un biscaïen. Il vécut encore onze heures et montra jusqu’au dernier moment, malgré d’atroces souffrances, une fermeté héroïque. Le Genoa eut 26 hommes tués et 33 blessés. L’amiral de Rigny avait admiré le coup d’œil du capitaine Bathurst venant prendre son poste, la vigueur avec laquelle son feu secondait celui de l’Asia ; mais nul navire, il faut bien le reconnaître, n’excita dans cette journée un plus vif enthousiasme, n’emporta d’une voix plus unanime les suffrages, que la frégate l’Armide, commandée par le brave capitaine Hugon. Ce capitaine était un des vétérans de nos anciennes guerres. Il avait servi dans les mers de l’Inde, sous les ordres du commandant Bergeret ; on le citait parmi les manœuvriers les plus habiles et les plus résolus. Quand il se présenta pour mouiller en tête de l’aile droite ennemie, la petite frégate anglaise, le Talbot, était aux prises depuis vingt minutes avec trois grandes frégates. Le capitaine Hugon passa entre le Talbot et les adversaires qui l’accablaient. À la vue de ce secours inattendu, de cette manœuvre non moins généreuse que hardie, les matelots anglais quittèrent un instant leurs pièces, s’élancèrent dans les haubans et saluèrent l’Armide de leurs acclamations. La frégate française jeta l’ancre. En virant sur ses embossures, elle couvrit complètement la frégate anglaise des coups du navire turc qui la pressait le plus. Ce navire ottoman fut bientôt amariné par l’Armide, le commandant Hugon eut la chevaleresque pensée de faire arborer à la corne les deux pavillons français et anglais réunis. Peu de temps après, la seconde frégate baissait à son tour pavillon devant le Talbot. La troisième coulait sous la volée d’un vaisseau russe, l’Alexandre-Newski.

Je n’irai pas plus loin dans le récit de ces épisodes ; je ne puis cependant m’empêcher de mentionner le dernier et le moindre de nos navires, la goélette la Daphné, capitaine Frezier. On put voir, non sans quelque étonnement, ce chétif aviso profiter de son exiguïté pour se glisser, pareil à la salamandre, au plus épais du feu.