Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à-tête du fils du vice-roi avec un giaour ne lui disait rien de bon.

L’amiral avait été témoin de l’embarras d’Ibrahim. Ce dernier n’essaya pas de dissimuler ce qui eût frappé l’observateur le moins clairvoyant. « Je suis à Navarin, dit-il au commandant de l’escadre française, dans la position où se trouve mon père à Alexandrie. Les yeux des Turcs sont constamment ouverts sur mes moindres démarches. » L’amiral ne voulut point entreprendre de contester les difficultés de cette situation ; il se contenta de représenter au pacha quels seraient les résultats probables de l’obstination de la Porte. « Il y allait de la destruction complète des flottes ottomanes. »

Ibrahim n’avait reçu, ni de la Porte ni de son père, aucun ordre relatif aux circonstances nouvelles. Le 13 août, il avait eu, par une voie indirecte, connaissance du traité signé à Londres. Il n’en attendit qu’avec plus d’impatience la flotte d’Alexandrie, car il espérait, — l’aveu en fut fait sans hésiter, — « pouvoir en finir avec Hydra, avant que les amiraux alliés se crussent suffisamment autorisés à intervenir. » La flotte était enfin arrivée ; il s’était empressé de faire ses préparatifs. Le 21 septembre, les troupes étaient embarquées, les dernières divisions de transports prêtes à partir ; il touchait au but, il allait porter aux Grecs le coup mortel, quand il se voyait soudain arrêté par un obstacle qu’il reconnaissait insurmontable. Sa position n’était-elle pas cruelle ? Pourquoi cette sommation, qu’on venait lui adresser, ne l’avait-on pas faite à Alexandrie, quand la flotte y était encore ? Tout serait fini maintenant. Il ne pouvait agir que sur de nouveaux ordres. Il allait expédier des courriers en Égypte et à Constantinople, faire rentrer les divisions qui croisaient en dehors de la rade et attendre.

L’entretien ne se rompit pas sur cette déclaration ; il restait un point délicat à toucher. Ibrahim pouvait à la rigueur admettre que ses troupes évacuassent la Morée ; mais « les places fortes, faudrait-il aussi les remettre aux Grecs ? Jamais le grand-seigneur n’y consentirait ; il préférerait s’abîmer sous les ruines de Constantinople. » — « La remise des places fortes n’est pas en question pour le moment, répondait l’amiral. C’est une affaire qui se décidera plus tard. Ce qu’on veut aujourd’hui, c’est un armistice, et on l’obtiendra, dût-on pour l’obtenir employer la force. En établissant de fait cette suspension d’armes, vous sauvez peut-être l’empire ottoman ; vous sauvez tout au moins votre père et votre héritage. Votre père est vieux, très inquiet, très changé. Songez-y, l’Égypte riche vaut mieux que la Morée convertie en désert. »

L’amiral se flattait, lorsqu’il prit congé d’Ibrahim, de l’avoir tout au moins sérieusement ébranlé. « Il est hors de doute, écrivait-il au ministre, que le pacha voudrait se retirer de ce pas difficile ; mais la défiance de la flotte turque et de ses chefs le gêne. Irrité de